Le nettoyage du fleuve Hudson, contaminé par le pyralène Un exemple historique de dépollution

, par  Larbi Bouguerra

Avant d’entrer dans le vif du sujet, il est utile de rappeler ce qu’on entend par pyralène. Il s’agit en fait d’une classe de 219 produits chimiques chlorés. Ils ont été synthétisés en 1929 et ne se rencontrent pas naturellement dans l’environnement. On les désigne collectivement sous le nom de biphényles polychlorés (BPC, ou en anglais PCB). Leur production a cessé depuis le milieu des années 1970. Monsanto, le plus grand fabricant au monde – sous le nom d’Aroclor – en a arrêté la production depuis 1977. D’après l’OCDE, jusqu’en 1976, l’industrie en aurait produit au total 1,25 milliard de livres. Suivant les pays, les noms diffèrent pour ces composés : Aroclor (Etats-Unis), Clophen (Etats-Unis), Phenoclor (France), Kaneclor (Japon), Pyralène (France)…

On utilise les PCB dans une myriade d’équipements et d’appareils électriques, notamment les transformateurs et les condensateurs. On les emploie aussi comme lubrifiants, encres d’imprimerie, adhésifs, pesticides, plastifiants, peintures, caloporteurs… Ils ont une exceptionnelle stabilité chimique et thermique, qui fait qu’ils sont très persistants dans l’environnement, et ils possèdent une forte solubilité dans les graisses, d’où leur danger pour les êtres vivants (bioaccumulation). Depuis 1966 et grâce aux analyses d’Anon et Jensen, on sait qu’ils se trouvent dans toutes les niches environnementales et chez divers êtres vivants : les aigles, les harengs, le lait maternel, les sédiments, les tissus adipeux humains et animaux et dans un grand nombre d’autres matrices. Depuis 1936, on connaît leur toxicité en milieu professionnel, et les cas de chloacné décrits dans la région de Grenoble en ont fait un risque professionnel. Les accidents de Yusho au Japon et à Taïwan ont mis en évidence leurs propriétés (ou celles de leurs contaminants) cancérigènes et leur toxicité pour l’embryon.

Aux Etats-Unis, étant donné la grande contamination de l’environnement par ces composés et leur apparente implication dans un certain nombre de cancers, la loi TSCA (Toxic Substances Control Act) contrôle drastiquement (voire interdit) depuis 1976 leur fabrication, leur distribution dans le commerce, leur emploi, leur rejet en fin de vie... Bien des pays industrialisés ont maintenant des législations similaires pour ces composés doués du don d’ubiquité dans le milieu naturel. Le Japon les interdit en 1972. Quant à la France, c’est en 1986 qu’elle transposera la directive européenne de 1977.

La décontamination de la rivière Hudson

L’Hudson est un fleuve de 500 kilomètres de long qui prend sa source dans les Adirondacks et traverse l’Etat de New York, dont il arrose la capitale Albany. Il longe même le Bronx et Manhattan. La circulation maritime sur le fleuve est intense, car il relie New York aux Grands Lacs.

Après une très longue saga judiciaire qui a opposé l’EPA (Agence de protection de l’environnement) américaine au mastodonte industriel General Electric (GE), la première phase du dragage, conduite par ce dernier, des sédiments souillés par les PCB du fleuve Hudson s’est récemment achevée. Cette phase a duré six mois.

Cette première opération est en fait un coup d’essai avant le lancement de la phase suivante prévue, bien plus importante et visant à débarrasser le fleuve des PCB provenant de la fabrication d’appareillages électriques divers par GE des décennies durant. Pendant des générations, les sédiments, les boues, les rives et les poissons de l’Hudson ont été contaminés par ces composés industriels rémanents.

A l’issue de cette première phase, l’EPA et GE ont publié, chacun de son côté, un rapport d’évaluation. En plusieurs endroits - comme dans le Hudson supérieur, au dessus d’Albany -, les couches de sédiments contaminées sont plus épaisses que prédit par l’étude des carottes et des échantillonnages réalisés avant le dragage. Le volume de PCB libérés dans l’eau et dans l’air était également plus élevé que prévu. L’enseignement que tirent les deux partenaires de cette première phase est qu’il faut faire quelques corrections si on veut atteindre le but visé : nettoyer complètement l’Hudson au cours des cinq prochaines années.

Quoiqu’il en soit, l’obligation faite à GE de finir ce nettoyage demeure. L’EPA veillera à ce que cela soit fait, même si la version de GE de cette phase initiale est marquée par un pessimisme certain. On l’a dit : la compagnie s’est livrée à une véritable guérilla judiciaire pour résoudre à moindre frais le problème des PCB. Son argumentation était, à l’époque, qu’il fallait laisser en place, dans le fleuve, ces carcinogènes pour qu’ils se dégradent tout seuls, et elle affirmait que le dragage ne ferait qu’empirer le problème dans la mesure où on les remettrait ainsi en suspension. Le nouveau rapport a, pareillement, une tonalité critique négative. Il avance que « le dragage a libéré 25 fois plus de PCB que prévu » et que les poissons dans les zones draguées ont révélé des pics de contamination.

De son côté, l’EPA faisait entendre un autre son de cloche et affirmait que ses analyses lui permettent de dire que le pourcentage de PCB inattendu était bien plus bas que celui avancé par l’entreprise. Evoquant les pics de PCB observés chez les poissons dans les zones proches des opérations, l’Agence soutient qu’il s’agit là d’un phénomène transitoire et temporaire. Plus important encore, l’EPA relève que le pourcentage de PCB en suspension qui a traversé le barrage flottant installé autour de la zone de dragage pour protéger les eaux non polluées de l’Hudson inférieur était plus faible que prévu.

Ces opérations de dragage sont les plus onéreuses et les plus compliquées jamais réalisées dans l’histoire des Etats-Unis. Les ingénieurs de GE les ont réalisées avec brio. Il s’agit maintenant de savoir si la compagnie veut tirer les leçons de cette première phase et prendre ses responsabilités sans délai. Il est clair que l’Agence va veiller à ce que GE accomplisse son devoir.

Commentaire

Aux Etats-Unis et au Canada, innombrables sont les cours d’eau pour lesquels une pancarte officielle avise qu’il est interdit de consommer le produit de sa pêche car les poissons sont contaminés par les PCB : ce qui prouve que les chaînes alimentaires trophiques transportent les PCB et contribuent à leur dissémination. Les poissons du Rhône sont aujourd’hui pareillement contaminés le long du Couloir de la Chimie et dans le sillon rhodanien (Agence française de sécurité sanitaire des aliments, AFSSA, 2007). En 1982, une pollution majeure par les PCB atteint l’estuaire de la Seine et va s’étendre aux côtes du Calvados. En fait, la baie de Seine montre, selon des organismes de recherche, « une situation de contamination exceptionnelle et unique ». En 1985, les poissons pêchés dans la Seine à Bonnières accusaient une teneur en PCB de 18 mg/kg de poids frais ; la norme édictée par la FDA américaine, de 2mg/kg de poids frais, est avalisée par le Ministère français de l’Agriculture en février 1988.

L’homme, encore une fois, a joué à l’apprenti sorcier en utilisant sans précaution aucune des produits complexes, très persistants et doués d’une grande toxicité pour le vivant. Il est vrai qu’en 1929, lors de la synthèse de ce mélange de produits chlorés, les connaissances environnementales étaient pratiquement inexistantes, mais à partir de la fin des années quarante, le cas de la DDT a mis en évidence les problèmes environnementaux que peuvent créer les composés organochlorés. Malheureusement, on a continué à les répandre dans l’environnement sans précaution. Le résultat est qu’aujourd’hui, l’embryon humain est soumis, dans le sein de sa mère, via le cordon ombilical et avant de pousser son premier vagissement, à cette contamination chimique par les PCB et les autres composés organochlorés.

L’analyse chimique de ces 219 composés est aujourd’hui particulièrement au point. Il est donc important de faire l’inventaire des sites pollués et d’étudier la possibilité d’éliminer ces substances que l’eau - bien qu’ils y soient peu solubles - contribue néanmoins à répandre et à accumuler dans les sédiments, où elles forment de véritables bombes à retardement. En France, on recense un total de 33462 tonnes de PCB à éliminer en 2010.

L’exemple américain montre que cette élimination est réalisable. Demeure une question fort épineuse : que faire des sédiments et des boues tirés de l’Hudson ? La solution la plus sûre est celle de l’incinération à température élevée (supérieure à 1000°C) pour éviter la formation du plus puissant des toxiques connus : la dioxine. Il faut à tout prix éviter la mésaventure hollandaise : les sédiments du port de Rotterdam ont servi d’engrais alors qu’ils renfermaient des quantités non négligeables de PCB, de l’ordre de 5000 kg par an !

Dans l’intérêt de l’homme et de la planète - et spécialement de l’hydrosphère -, il faut aussi veiller à ce que le commerce des appareils électriques contenant les PCB soient interdits dans les pays du Sud.

SOURCES
 "The Hudson Cleanup", Editorial, New York Times, 9 février 2010. http://www.nytimes.com/2010/02/09/o...

Le lecteur intéressé lira aussi avec profit :
 Les premiers chapitres du livre de Mitchell D. Erikson, Analytical chemistry of PCB, Butterworth Publisher, Boston, 1986.
 Anne-Corinne Zimmer, Polluants chimiques, enfants en danger, Editions de l’Atelier, Ivry/Seine, 2008
 Philip et Alice Shabecoff, Poisoned profits. The toxic assault on our children, Random House, New York, 2008.

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