Le rôle central des femmes dans l’accès à l’eau et à l’assainissement

, par  Olivier Petitjean

Pour assurer le succès des projets d’accès à l’eau et à l’assainissement, et surtout pour les faire servir une stratégie plus générale de développement humain durable et de sortie de la pauvreté, une approche en termes de genre est indispensable. La réussite n’est pas possible si les perceptions, savoirs, contributions, besoins et priorités de la moitié de la population concernée, c’est-à-dire les femmes et les filles, ne sont pas pris en compte.

De nombreux programmes d’accès à l’eau et à l’assainissement ont été mis en œuvre dans les pays du Sud depuis quatre décennies, mais ils sont loin d’avoir toujours apporté les résultats escomptés, notamment en raison d’une démarche trop technicienne, basée sur une offre standardisée, ne prenant pas en compte les contextes locaux. Suite à ces constats d’échec, de nouveaux paradigmes ont été mis en avant dans le contexte de la coopération internationale pour guider les actions sur le terrain et faire ressortir l’articulation entre les différents aspects de la vie des communautés concernées : développement humain, développement durable, lutte contre la pauvreté, stratégie de subsistance (livelihoods) soutenable, participation et technologie adaptée, renforcement des capacités (empowerment), etc. Ces approches ont permis de sortir les questions d’accès à l’eau et à l’assainissement d’une perspective purement technique et matérielle, et de les replacer dans le cadre d’une démarche globale, prenant en compte la population concernée et son environnement de manière cohérente. Dans le domaine spécifique de l’eau, la notion de gestion intégrée a également permis de commencer à dépasser les approches trop compartimentées, qui traitaient séparément les différents secteurs ou les différentes régions sans tenir compte de leurs interdépendances.

Malheureusement, ces nouvelles approches n’ont pas toujours accordé suffisamment d’attention à la dimension du genre. Par exemple, elles se sont focalisées sur le niveau de la communauté ou sur celui du ménage sans toujours voir que communautés et ménages ne sont pas forcément des unités indivisibles et cohérentes basées sur la solidarité et la complémentarité, mais que des conflits d’intérêts et de pouvoir peuvent intervenir entre hommes et femmes. Même quand la question des relations de sexe est prise en compte, elle l’est souvent uniquement sous l’angle d’une victimisation des femmes, vues comme vulnérables et marginales plutôt que comme des actrices de changement dans les ménages et les communautés. À la limite, la preuve du succès d’un programme d’accès à l’eau et à l’assainissement réside précisément dans les améliorations qu’il apporte à la condition des femmes et aux rapports de pouvoir au sein du ménage et de la communauté.

La contribution des femmes à l’accès à l’eau et à l’assainissement

Il est difficile d’aborder la question du rapport entre genre et amélioration de l’accès à l’eau et à l’assainissement à un niveau trop général, dans la mesure où femmes et hommes ne sont pas des groupes homogènes et où les relations entre les sexes varient en fonction de chaque contexte. On peut toutefois relever un certain nombre de points qui reviennent de manière récurrente.

Tout d’abord, il est généralement reconnu que les femmes et les hommes contribuent de manière différente, et souvent inégale, à la gestion de l’eau et de l’assainissement dans le Sud, aussi bien au niveau du ménage que de la communauté. Les femmes s’occupent de chercher l’eau nécessaire pour le ménage et, dans la mesure où elles s’assurent que l’approvisionnement est suffisant et où elles s’occupent de la stocker de manière adéquate dans la maison, elles sont de facto celles qui gèrent l’eau au sein du ménage. Les petites filles sont régulièrement privées d’éducation car leurs mères ont besoin d’elles pour aller chercher l’eau pendant la journée. Les femmes jouent souvent un rôle clé également au niveau de la communauté, parfois jusqu’à prendre en charge la construction et la maintenance des installations d’accès à l’eau.

Le rôle des femmes dans l’assainissement est moins reconnu. Si ce sont les hommes qui, dans la plupart des pays du Sud, construisent les latrines, les femmes sont généralement responsables de leur entretien. Elles assistent également les enfants, les personnes âgées ou les malades dans leurs besoins sanitaires et d’hygiène. Ce sont également les femmes qui enseignent aux enfants l’usage des latrines et, au-delà, les différents gestes d’hygiène. Cela explique que les perceptions et les priorités des femmes en matière d’assainissement soient souvent différentes de celles des hommes. De nombreuses recherches et expériences ont montré que les principaux soucis des femmes étaient la sécurité (principalement pour les enfants) et l’intimité : les femmes voulaient avant tout être sûres que leurs enfants ne tomberaient pas dans les fosses, et elles voulaient des portes avec cadenas pour se protéger des regards des passants. Pourtant, la plupart des programmes d’assainissement (tout comme la plupart des programmes de développement en général) ont été conçus en se référant aux besoins présumés d’une « personne » idéale asexuée qui n’existe pas dans la réalité.

Enfin, l’extension d’un assainissement approprié correspond aux intérêts des petites filles. Dans de nombreuses régions du monde, celles-ci sont condamnées à une existence dépourvue de confort, d’intimité, de sécurité, de dignité et d’hygiène, forcées qu’elles sont d’uriner et de déféquer dans des endroits en plein air, à l’écart de leur village, et seulement à certaines heures. On sait aussi que le manque d’installations d’assainissement adéquates a des implications en termes d’accès à l’éducation pour les filles. Les parents préfèrent en effet ne pas envoyer leurs filles dans des écoles où elles ne bénéficieront pas de toilettes séparées.

Un manque de prise en compte et de participation

Les femmes ont donc des besoins et des revendications spécifiques ; parallèlement, de par leur position cruciale dans la gestion de l’eau et de l’assainissement, elles devraient être au cœur des stratégies d’amélioration de l’accès à l’eau et à l’assainissement. On constate pourtant que leurs voix ne sont pas toujours prises en comptes et que les programmes d’approvisionnement et d’assainissement négligent de prendre appui sur leur rôle actuel et potentiel dans ce domaine. Cet état de fait reflète certes en partie la situation préexistante, puisque dans de nombreuses régions du Sud, les femmes sont peu ou pas représentées dans les processus de prise de décision au niveau du ménage ou de la communauté – et, plus généralement, en raison de leur charge de travail, de leur moindre accès à l’éducation, de leur dépendance sociale, elles sont moins en mesure de formuler leurs besoins et leurs opinions et de les faire entendre.

Pire encore, la manière dont les programmes sont conçus peut contribuer à renforcer la division traditionnelle des tâches et des statuts entre les sexes. La prise en compte du genre dans les projets d’accès à l’eau et à l’assainissement s’est souvent limitée à une analyse de la contribution spécifique des femmes et aux bénéfices qu’elles pourraient attendre du projet dans le cadre du partage des rôles préexistant. De sorte que le maintien du statu quo en termes de partages des rôles, des ressources et du pouvoir était considéré comme allant de soi. On a cherché à impliquer les femmes dans la conception et la mise en œuvre des projets, mais trop souvent le type de participation ménagé pour les femmes reposait sur une perception de celles-ci comme n’ayant qu’un rôle « domestique » de consommation du service. Le besoin d’inclure les femmes à un niveau plus politique n’est pas ressenti.

En dépit du rôle des femmes dans l’hygiène et l’assainissement au niveau des ménages, les programmes de construction de latrines reposant sur la constitution d’une couche de micro-entrepreneurs locaux, et donc incluant des opportunités de revenus pour certains habitants, sont souvent conçus et mis en œuvre sur la base de la présupposition erronée que seuls les hommes seront intéressés par les possibilités de formation ou d’accès au crédit associées. Le rôle de gestionnaires que remplissent pourtant de fait les femmes, et qui devrait les qualifier plus particulièrement pour développer des activités dans ce domaine, est le plus souvent ignoré.

L’une des causes fondamentales de ces limitations est que les concepteurs et promoteurs des programmes ne se rendent pas compte que les actions d’amélioration de l’approvisionnement en eau et de l’assainissement sont nécessairement des processus de changement social, qui requièrent donc de placer au centre de l’attention les femmes et les hommes comme usagers, acteurs et agents de changement. Souvent, la promotion de l’égalité et de l’équité entre les sexes peut être considérée comme le facteur crucial qui décide du succès ou non des initiatives ; c’est en tout cas la conclusion à laquelle sont parvenus Anil Agarwal et Sunita Narain dans leurs travaux sur les projets communautaires de récolte de l’eau de pluie en Inde. De même, les expériences de mise en œuvre des principes de l’assainissement écologique (c’est-à-dire la récupération des déchets humains et de leur usage comme fertilisants pour des cultures maraîchères (voir le texte "L’assainissement écologique") montrent que c’est la mobilisation des femmes qui permet de faire accepter et de mettre en œuvre ces solutions inhabituelles. Dans ce cas, elles sont doublement intéressées puisque ce sont aussi souvent les femmes qui ont en charge les cultures maraîchères domestiques qui assurent une partie de la subsistance des ménages, voire éventuellement des revenus monétaires si la production est suffisante pour être partiellement revendue.

SOURCE
 Carolyn Hannan et Ingvar Andersson, “Gender perspectives on water supply and sanitation : Towards a sustainable livelihoods and ecosystem-based approach to sanitation” (source partiellement reprise dans le texte). http://www.energyandenvironment.und...

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