Le texte des traités européens reconnaissant la spécificité des services d’intérêt économique général, de même que la nature particulière des services de l’eau et de l’assainissement, devraient empêcher que ces services soient soumis à une politique de mise en concurrence et de privatisation au niveau communautaire, sur le modèle d’autres activités de réseau.
L’article 16 du traité [Traité instituant la communauté européenne, article ajouté par le traité d’Amsterdam (1997)] reconnaît le caractère fondamental des SIEG (Service d’intérêt économique général) et la nécessité d’en tenir pleinement compte pour l’ensemble des politiques mises en place par l’Union européenne. L’article 86-2 constitue la disposition centrale pour la conciliation des SIEG avec les principes de libre concurrence et du marché intérieur ; il permet d’établir des dérogations à l’interdiction des aides d’État au profit des SIEG.
La notion de Service d’intérêt général (SIG) est quant à elle présente dans les papiers de la Commission et dans le débat public mais n’est pas définie formellement, ni dans les traités, ni dans le droit dérivé.
Dans le livre blanc de la Commission de mai 2004 :
Le terme service d’intérêt général n’apparaît pas dans le traité. Il provient des pratiques communautaires concernant les services d’intérêt économique général, présents dans le traité. Les SIG couvrent un champ plus large que les SIEG et les autorités publiques jugent qu’ils doivent faire l’objet de dérogations spéciales.
Les caractéristiques du secteur de l’eau et de l’assainissement peuvent faire de lui un SIG, sans que des dispositions légales viennent encadrer ce secteur.
L’expression "services d’intérêt économique général" est utilisée aux articles 16 et 86, paragraphe 2, du traité. Elle n’est pas définie dans le traité ou dans le droit dérivé. Cependant, dans la pratique communautaire, on s’accorde généralement à considérer qu’elle se réfère aux services de nature économique que les États membres ou la Communauté soumettent à des obligations spécifiques de service public en vertu d’un critère d’intérêt général. La notion de services d’intérêt économique général couvre donc plus particulièrement certains services fournis par les grandes industries de réseau comme le transport, les services postaux, l’énergie et les communications. Toutefois, l’expression s’étend également aux autres activités économiques soumises elles aussi à des obligations de service public.
Sur cette base, le secteur de l’eau et de l’assainissement appartient à la catégorie SIEG. Le livre vert de la Commission Européenne de 2003 définit de manière implicite l’eau et l’assainissement comme un SIEG, précisant en note de bas de page que « la directive-cadre 2000/60/CE relative à l’eau (JO L 327 du 22.12.2000, p. 1) fixe certaines règles de transparence pour les services liés à l’utilisation de l’eau. L’article 9 traite des politiques de tarification et impose notamment aux États membres de tenir compte du principe de la récupération des coûts, y compris les coûts pour l’environnement et les ressources, ainsi que du principe pollueur-payeur ».
Etant donné qu’aucune règle ne vient encadrer le secteur de l’eau et de l’assainissement, il dépend des règles générales des traités, en particulier des règles d’égalité de traitement, de transparence, de proportionnalité, de reconnaissance mutuelle.
Il existe en Europe une grande diversité de modes d’organisation, de types de gestion (public/privé) du secteur de l’eau et de l’assainissement. Cette diversité tient aux histoires, traditions et institutions des différents pays. Appliquer mécaniquement au secteur de l’eau et de l’assainissement la problématique du « marché intérieur » telle qu’elle a été mise en œuvre dans beaucoup d’autres secteurs ne semble pas adéquat. Il faut d’abord tenir compte que la ressource est locale, que les services sont sous la responsabilité des autorités publiques communales et locales. Si l’on parle de « marchés », il s’agit pour l’essentiel de marchés locaux. Il importe donc de respecter le principe de subsidiarité et de ne confier aux autorités européennes que les compétences pour lesquelles elles sont susceptibles d’apporter une plus-value par rapport aux autorités nationales et locales.
Plus que dans beaucoup d’autres secteurs, les règles d’organisation du secteur de l’eau et de l’assainissement doivent prendre en compte l’existence d’un « monopole naturel », qui rend exceptionnelles les formes de concurrence « dans le marché » .
Le secteur de l’eau et de l’assainissement comporte de nombreuses « obligations de service public » : il s’agit d’un bien public essentiel auquel tous les habitants doivent avoir accès (service universel, droit d’accès) ; existent de nombreuses externalités positives et négatives, qui impliquent des mesures particulières de cohésion et de solidarité ; compte tenu de la rareté de la ressource et de l’existence d’un cycle de l’eau, des mesures spécifiques de protection, de sécurité et de long terme sont nécessaires. Les dispositions de l’article 86-2 du traité s’appliquent donc clairement et permettent l’existence d’autres règles que celles de concurrence (les entreprises … sont soumises aux règles du présent traité, notamment aux règles de la concurrence, dans les limites où l’application de ces règles ne fait pas échec à l’accomplissement en droit ou en fait de la mission particulière qui leur a été impartie).
Les politiques et règles européennes doivent intégrer ces différentes caractéristiques.
Compte tenu des inquiétudes et incertitudes qui se sont développées ces dernières années sur les intentions et objectifs des institutions européennes, en particulier de la Commission, celle-ci devrait aujourd’hui clairement préciser, par exemple dans une Communication interprétative, qu’elle renonce à proposer une politique de libéralisation sur les mêmes bases que les autres activités de réseau, et donc à tout projet de « directive marché intérieur » pour ce secteur. Cette communication interprétative devrait rappeler et préciser les principes et règles communs s’appliquant au secteur de l’eau et de l’assainissement, dans le respect de la diversité des modes d’organisation et de gestion : transparence, proportionnalité, non discrimination, égalité de traitement, responsabilité et contrôle des autorités publiques, participation des consommateurs et citoyens, évaluation et benchmarking incitatifs ; sur la base du respect de ces principes et règles, liberté de choix alternatifs des autorités publiques (y compris de réversibilité).
SOURCE
– Audition du 28 novembre 2005 au CESE, Comité économique et social européen