Le secteur de l’eau n’est pas seulement une victime potentielle du changement climatique, qui risque d’entraîner pénuries d’eau ou à l’inverse cyclones et inondations. Il est aussi lui-même responsable d’une proportion significative des émissions de gaz à effet de serre. Ces émissions sont de trois ordres : celles qui sont causées par les grands barrages et réservoirs ; celle qui sont associées à l’énergie nécessaire pour pomper et acheminer l’eau ; celles enfin qui sont liées aux eaux usées et à leur traitement.
Les émissions des barrages et des réservoirs
Contrairement à l’idée reçue qui voit dans l’hydroélectrique une source d’énergie totalement propre du point de vue des émissions de gaz à effet de serre, il semble que les barrages et les réservoirs qui leur sont associés (associés ou non à une unité de production hydroélectrique) soient des émetteurs nets de carbone et de méthane. D’une part, ces réservoirs émettent de faibles quantités de gaz carbonique transporté à la surface de l’eau. D’autre part, certains réservoirs, en particulier les réservoirs peu profonds en zone tropicale où le cycle du carbone est le plus productif, émettent des quantités significatives de méthane. La formation de surfaces d’eau artificielles en amont des barrages a également pour effet de déraciner une partie de la végétation qui, flottant à la surface des réservoirs, émet des gaz à effet de serre. L’Institut national de la recherche spatiale du Brésil aurait estimé la quantité de méthane émise par les barrages à 104 millions de tonnes métriques – ce qui en ferait les premiers émetteurs de méthane du fait de l’action humaine.
L’énergie utilisée dans l’extraction, l’acheminement et le traitement de l’eau
L’extraction de l’eau, en particulier le pompage, ainsi que son acheminement, consomment également de grandes quantités d’énergie. Certains procédés de traitement sont également très gourmands de ce point de vue. En Inde, il a été estimé que les pompes à eau prélevant l’eau des nappes phréatiques pour l’irrigation sont responsables d’entre 4 et 6 % des émissions de gaz à effet de serre de ce pays. Les besoins en électricité pour le pompage ont d’ailleurs tendance à augmenter avec le temps, à mesure qu’il faut chercher l’eau de plus en plus profondément. Il a ainsi été estimé que les différentes consommations énergétiques liées à l’eau représentaient au total (en incluant l’utilisation de l’eau pour le refroidissement ou le chauffage) 18 % de la consommation d’électricité et 30 % de la consommation de gaz naturel de toute la Californie, ce qui en fait le premier émetteur de cet État avec les transports individuels. Les distributeurs de l’eau consommeraient chaque année 12 mégawatts d’électricité, avec un pic pendant l’été. Le chiffre est particulièrement élevé dans cette partie des États-Unis en raison de l’énergie nécessaire pour le pompage, puis pour transporter l’eau depuis le Nord (ou se trouve la grande majorité des ressources) vers le Sud de la Californie. En ce sens, le souci de la conservation de l’eau ne fait qu’un avec celui des économies d’énergie et de la réduction des émissions de gaz à effet de serre. On a ainsi calculé que les actions de conservation entreprises par l’Agence de l’eau du comté de Santa Clara (Silicon Valley, ville de San Jose) depuis les années 90 ont permis d’économiser non seulement 456 millions de mètres cubes en 13 ans, mais aussi 1,42 milliards de KWh et 335 millions de kg de dioxyde de carbone.
Les émissions de méthane dans les unités de traitement de l’eau
Les eaux usées et leur traitement représentent une autre source substantielle de gaz à effet de serre, en l’occurrence principalement de méthane et d’oxyde d’azote (présents en bien moins grande quantité dans l’atmosphère que le carbone, mais dont l’effet négatif sur le climat est aussi nettement plus prononcé). Une extension de l’assainissement et du traitement des eaux usées au niveau mondial aurait pour conséquence de réduire ces émissions, car les eaux usées que l’on laisse s’écouler ou stagner sans les traiter émettent davantage de gaz à effet de serre.
Dans ce domaine, des améliorations très significatives sont possibles. Le Professeur Perry McCarty, ingénieur de l’environnement de l’Université de Stanford, a ainsi mis au point des méthodes relativement bon marché de traitement des eaux usées et tout particulièrement des procédés à base de microbes anaérobies (indépendants de l’oxygène) capables de convertir des mélanges complexes de polluants en sous-produits inoffensifs, voire utiles à d’autres activités (engrais, génération de chaleur…). Dans les usines de traitement reposant sur les principes mis en avant par ce savant (traitement anaérobique, cultures d’algues, digestion des boues d’épuration plutôt que leur incinération), comme celle de Sunnyvale en Californie, le méthane est recueilli et utilisé comme source d’énergie pour le fonctionnement de l’usine elle-même. Cela permet à la fois de réduire (voire d’annuler) la facture énergétique et les émissions de gaz carbonique qui lui sont associées, et d’empêcher cet autre gaz à effet de serre qu’est le méthane de s’en aller dans l’atmosphère. Par rapport à ses voisines utilisant des techniques moins performantes, l’usine de Sunnyvale a des émissions de gaz à effet de serre quasi négatives, puisqu’elle parvient à générer de l’électricité en surplus. Pour ces recherches et d’autres encore sur le traitement de l’eau, Perry McCarty a d’ailleurs été récompensé en 2007 par le Prix annuel de l’Institut International de l’Eau de Stockholm.
SOURCES
– Rhitu Chatterjee « McCarty wins 2007 Stockholm Water Prize », Environmental Science and Technology, April 18, 2007, American Chemical Society, Washington, D.C., USA
– Rapport technique IPCC changement climatique et eau. http://www.ipcc.ch/ipccreports/tp-c...
– Perry McCarty, “Climate Change Implications of Wastewater Treatment”, intervention au California Colloquium on Water. http://www.lib.berkeley.edu/WRCA/cc...
– Rapport « Energy Down the Drain. The Hidden Costs of California’s Water Supply », Pacific Institute/Natural Resources Defence Council. http://www.nrdc.org/water/conservat...