Le traitement des eaux usées en Inde

De nombreux quartiers des villes indiennes n’ont pas de systèmes d’assainissement adéquats et, même là où ils existent, l’absence d’épuration entraîne des conséquences environnementales et sanitaires dramatiques. Il ne sera pas possible de remédier à ces problème sur la base des systèmes sanitaires classiques.

Dans les classes moyennes et supérieures, les cabinets classiques reliés au tout-à-l’égout sont un équipement qui va de soi : on tire la chasse d’eau, c’est parti et on n’en parle plus. Pourtant les choses ne sont pas aussi simples. Tout d’abord, bien peu de villes indiennes sont équipées de stations d’épuration. D’après la Commission centrale de lutte contre la pollution, moins de 3 % des eaux usées sont traitées. Le reste passe souvent à l’état brut dans un cours d’eau. Et la facture est énorme en termes d’environnement et de santé publique : nos rivières meurent et nos enfants aussi.

Dans les villes indiennes, une bonne partie de la population vit dans des bidonvilles et des zones périurbaines qui souvent n’ont pas d’existence administrative officielle et n’entrent donc pas dans les plans de développement des réseaux d’assainissement. Près de la moitié des 12 millions d’habitants de Bombay (Mumbai) vit sur 6 % du territoire de la mégapole dans des bidonvilles ou sont sans domicile fixe. Lorsque sont projetées, parfois à l’instigation d’ONG, des constructions de sanitaires, on pense d’abord « chasse d’eau et tuyauterie ». C’est une solution inadaptée. Dans ces quartiers, un cabinet peut servir à 500 personnes, et on ne s’occupe guère de l’entretien. À Delhi ce sont les services municipaux qui ont la charge des programmes d’assainissement à bas prix, notamment des toilettes publiques qui sont le plus souvent en mauvais état. En 1993, avait été adoptée une loi pour lutter contre le système qui consiste à confier le soin de s’occuper des latrines traditionnelles à des vidangeurs opérant à mains nues. Cela aurait pu être l’occasion de penser à des technologies appropriées bien adaptées aux conditions locales. Mais, en matière de progrès, les autorités en sont restées à la chasse d’eau, la transformation des installations se fait lentement et il faudra des budgets bien plus importants pour les nouvelles constructions et pour leur entretien, sans oublier les stations d’épuration.

80 % du problème

On parle souvent de pollution industrielle des cours d’eau alors qu’en Inde la principale menace vient des déjections humaines : 80 % du problème selon le Commissariat au Plan. Le Ministère central de l’environnement a, dans le cadre du 9e Plan (1997-2002), fixé comme objectif la construction de 1 591 stations d’épuration dans des localités de plus de 20 000 habitants, en collaboration avec le Ministère central du développement urbain et les États de l’Union indienne. Il reste à savoir d’où viendra l’argent. Parce qu’ils ont vieilli et qu’ils sont mal entretenus, les égouts de Delhi ont perdu 80 % de leur capacité. Donc 20 % seulement des effluents ménagers est épuré, et tout le reste passe directement dans la Yamuna, le fleuve qui traverse la ville. Le coût réel du traitement de l’eau, uniquement pour la rendre propre, n’est d’ailleurs pas pris en compte. À Delhi il faudrait pour cela facturer l’eau 4,61 roupies les 1 000 litres au lieu de 1,99 roupies. La Régie des eaux (DJB) ne récupère que 43 % des coûts de production. À Calcutta on tombe même à 14 %. Et cela ne tient pas compte évidemment du retraitement des eaux usées avant qu’elles se déversent dans les cours d’eau.

Lorsqu’on entreprend d’installer dans les zones périurbaines des équipements sanitaires économiques, on est confronté à une autre difficulté importante. Car, pour fonctionner convenablement, ils exigent généralement une plus grande implication de la part des usagers que les techniques conventionnelles. Les ingénieurs, qui jouent souvent un rôle important dans la formulation des programmes d’assainissement, connaissent parfois mal les contraintes sociologiques : comment mobiliser les populations, impliquer les futurs usagers. Peut-être ne s’intéressent-ils guère à ces aspects, d’autant plus que cela prendrait beaucoup de temps de s’en occuper vraiment.

Le Commissariat au Plan parle de « cercle vicieux ». Les programmes d’assainissement urbain classiques ne sont pas économiquement viables. Ils ne couvrent pas l’ensemble de la population, ils fonctionnent mal faute de financements adéquats et l’entretien est calamiteux. Il faudrait reformuler les politiques dans un esprit plus ouvert en tenant compte des caractéristiques sociologiques et géographiques de la région. Respect de l’environnement et viabilité économique doivent aller de pair. Mais qui va accrocher la clochette à la queue du chat ?

Il est temps de revenir au problème de base : se débarrasser proprement des matières fécales. Il faut regarder de plus près quel usage on fait des cabinets et des égouts. L’assemblage classique, avec chasse d’eau et tuyauterie, ne fait que transporter le problème ailleurs. Or on peut dissocier le cabinet et la tuyauterie : plus que la nécessité c’est l’habitude acquise qui les tient ensemble, alors qu’il existe deux façons bien distinctes de procéder : le système hors site où les selles quittent la maison et voyagent, le système sur site où leur traitement a lieu dans la maison ou bien tout à côté.

Premièrement, il faut considérer le cabinet comme un instrument de collecte de nos déchets naturels plutôt que comme un moyen de s’en débarrasser. Mais on est sur ce point confronté aux mentalités : une société « civilisée » se doit de tirer la chasse d’eau, l’utilisation des matières fécales c’est bon dans les pays en développement. Deuxièmement, l’eau est une ressource précieuse qu’on ne devrait pas gaspiller inconsidérément pour faire circuler le pipi et le caca dans les tuyaux. Troisièmement, il faut traiter le problème le plus près possible de la source, sinon on est confronté à des systèmes d’assainissement lourds et centralisés bien difficiles à gérer tant du point de vue financier qu’écologique.

SOURCE
CRISLA, Notre Terre n° 23, septembre 2007. Sélection d’articles de Down To Earth, revue indienne écologiste et scientifique, publiée par CSE à New Delhi. Traduction en français : Gildas Le Bihan (CRISLA).

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