Les eaux de l’Inde accusent les plus fortes concentrations de médicaments dans le monde

, par  Larbi Bouguerra

Les chercheurs ont eu un choc quand ils ont eu connaissance des analyses des eaux usées traitées provenant d’une unité d’épuration où 90 firmes de médicaments indiennes envoient leurs eaux résiduelles à Patancheru.

Cette ville de l’Etat d’Andhra Pradesh (sud de l’Inde) est devenue depuis les années 1980 le cœur d’une région industrielle où fleurissent les productions de produits chimiques et surtout de médicaments, souvent sans le moindre respect pour l’environnement ou les populations avoisinantes. Les chercheurs ont ainsi découvert que, pour un unique et puissant antibiotique, la ciprofloxacine (Ciflox en France, Cipro au Canada) la quantité rejetée dans le cours d’eau Isakavagu est suffisante pour traiter chaque habitant dans une ville de 90 000 âmes. Et ce n’est pas tout ! L’eau supposée traitée était une vraie pharmacie flottante comprenant pas moins de 21 principes actifs différents utilisés – comme génériques pour traiter l’hypertension artérielle, les maladies cardiovasculaires, les affections hépatiques chroniques, la dépression, la blennorragie, les ulcères… La moitié de ces médicaments n’avaient jamais été détectés dans l’environnement aux dires des chercheurs. Les usines indiennes produisent des médicaments qui sont commercialisés partout dans le monde, y compris aux Etats-Unis. Il en résulte que, sans le savoir, des Indiens pauvres sont en train de consommer une vaste gamme de médicaments qui pourraient être dangereux et qui sont en mesure de provoquer la prolifération de bactéries résistantes. L’an dernier, l’agence AP a annoncé que 46 millions d’Américains boivent une eau dans laquelle on trouve des traces de médicaments. Pour ce qui est des eaux indiennes en aval des usines de médicaments, la concentration peut atteindre 150 fois les niveaux détectés aux Etats-Unis.

Ces concentrations phénoménales ont laissé les chercheurs abasourdis. « Est-il possible , s’est interrogé Joakim Larsson, de l’Université de Gothenburg en Suède, qu’on laisse passer dans l’eau 100 livres de ciprofloxacine par jour ? » Il demanda une seconde analyse à un autre laboratoire indépendant qui obtint des résultats similaires à ceux de la première expertise. Larsson conclut que la situation était vraiment sérieuse car des villageois boivent cette eau, d’autres pêchent et mangent les poissons provenant des rivières polluées, et le bétail s’abreuve à ces mêmes eaux. Dans six puits utilisés par la population, on détecta les plus hauts niveaux de l’antibiotique ciprofloxacine et d’un antihistaminique très courant, la cetirizine. Il est vrai que les concentrations étaient bien inférieures aux doses humaines, mais les résultats étaient quand même fort alarmants. Les villageois savaient à quoi s’en tenir mais n’avaient aucunement le choix. Ils le savaient d’autant plus que, lorsque des responsables locaux les visitaient, ils n’acceptaient jamais de boire l’eau qu’ils leur offraient. Il est vrai aussi que la justice a contraint les fabricants de médicaments à fournir de l’eau propre aux populations, mais celles-ci se plaignent que les volumes fournis sont insuffisants et qu’elles sont ainsi forcées de retourner aux puits teintés de produits pharmaceutiques.

La contamination des eaux par les produits pharmaceutiques inquiète aujourd’hui tout le monde et cette pollution est présente dans les lacs, les fleuves, les barrages... comme douée d’ubiquité. En fait, les médicaments sont excrétés sans être complètement métabolisés par les patients ; de plus, les hôpitaux, les maisons de retraite… évacuent dans les toilettes quantités de produits pharmaceutiques non utilisés. Lorsque ces molécules sont en contact avec les selles comme en Inde, dans les eaux usées, les germes résistants peuvent se développer. De plus, même à concentrations très faibles, le système reproducteur des poissons, des batraciens et d’autres êtres aquatiques sauvages est affecté. Ainsi, en Inde, les têtards exposés à cette eau provenant de l’usine de traitement et diluée 500 fois n’en sont pas moins affectés car ils sont 40 fois plus petits que leurs congénères dont la croissance s’est déroulée dans une eau propre.

Ce type de contamination soulève deux questions fondamentales pour les chercheurs et les décideurs : l’évaluation quantitative de cette pollution et son origine. Les experts se demandent notamment si les rejets des stations d’épuration ne seraient pas en train de répandre tout azimut la résistance aux médicaments. La pollution des eaux de Patancheru pourrait affecter ainsi toute la chaîne alimentaire. Pire : les experts constatent que la ciprofloxacine, considérée comme un antibiotique puissant utilisé en dernier ressort pour combattre les infections les plus tenaces, est devenue sans effet sur un certain nombre de bactéries.

Les usines de Patancheru et d’ailleurs en Inde ont fait de ce pays un grand exportateur de médicaments. Les Etats-Unis ont importé pour 1,4 milliard de produits pharmaceutiques indiens en 2007. Pour le Dr A. Kishan Rao, qui soigne depuis 30 ans les habitants de Patancheru proches des usines : « Nous utilisons ces médicaments et les gens ne guérissent plus. La résistance est là, parmi nous. » Ce médecin est particulièrement inquiet quant aux effets à long terme sur ses patients potentiellement exposés à des niveaux faibles mais constants de principes actifs pharmaceutiques. Pour ne rien dire de la variété de ces produits, de leurs mélanges et de leurs interactions possibles. Personne n’est en mesure de dire ce que cela peut provoquer conclut le Dr Rao. « C’est une inquiétude globale. Les pays européens ainsi que les Etats-Unis sont en train de protéger leur environnement. Ils utilisent des médicaments aux dépens de la santé des peuples des PVD. »

Pour Renée Sharp, chef analyste à l’Environment Working Group de Washington que stupéfient les concentrations trouvées dans les eaux en Inde et que perturbe la résistance aux antibiotiques : « Les gens peuvent dire qu’il ne s’agit que d’une rivière polluée en Inde mais nous vivons sur une petite planète et tout est lié. L’eau dans une rivière en Inde pourrait être la pluie qui tombera sur votre ville dans quelques semaines. »

Commentaire

Il y a quelques années, le Centre de recherches scientifiques suisse de Dübendorf trouvait que l’eau de pluie à Zurich ne répondait pas aux normes de potabilité car polluée par les pesticides interdits vendus aux PVD, le plomb des gaz d’échappement, les particules d’amiante des freins de voitures…. C’est dire si Renée Sharp à raison de dire que nous sommes tous embarqués sur le même frêle esquif de cette planète bleue.

En clair, la protection de l’environnement de tel ou tel pays devrait devenir une affaire….internationale car nous dépendons tous les uns des autres.

La question la plus grave ici - après celle de la résistance des microbes aux antibiotiques -, à notre humble avis, est celle des délocalisations d’usine et leur fonctionnement dans un milieu où les règles de la protection de l’environnement sont foulées au pied du fait de la corruption des fonctionnaires chargés de la police des eaux et de l’environnement en général ou du fait de capitaines d’industrie sans scrupules qui considèrent la protection du milieu trop coûteuse, méprisent les populations locales et n’ont d’yeux que pour le cash flow.

La communauté internationale devrait prendre des mesures strictes contre ceux qui font passer leurs intérêts propres avant ceux des sans défenses et des pauvres et avant ceux de la biodiversité et donc de la Vie.

Hélas, l’Inde fournit – à son corps défendant - un contre-exemple flagrant à ce propos naïf : Warren Anderson, le président états-unien de la multinationale qui a détruit la ville de Bhopal dans le nord de l’Inde et provoqué une catastrophe industrielle sans précédent dans la nuit du 2 au 3 décembre 1984, coule des jours heureux à New York ! Mais les habitants de Bhopal continuent, en 2010, un quart de siècle après la catastrophe, de mourir des suites des émanations délétères et mortelles d’isocyanate de méthyle de l’usine d’Union Carbide.

La communauté internationale a encore du pain sur la planche sur elle veut mettre fin aux mécanismes de résistance aux antibiotiques et protéger les eaux de notre planète.

SOURCE
 Martha Mendoza, « World’s highest drug levels entering India stream », New York Times, 26 janvier 2009.

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