Les effets du réchauffement global se font sentir dans les Andes

Le processus de régression des glaciers andins est déjà bien avancé, menacant les ressources en eau mais aussi la production hydroélectrique d’un pays comme la Bolivie.

Une source qui s’assèche

Les glaciers tropicaux, situés au sommet de hautes montagnes comme les Andes ou le Kilimandjaro, couvrent à l’échelle mondiale près de 2 500 kilomètres carrés, et ont une importance vitale. Ils permettent en effet l’approvisionnement en eau de zones difficiles d’accès, et constituent une réserve solide d’eau douce pour la planète. Du fait de leur grande sensibilité au changement climatique, les glaciers tropicaux constituent un indicateur de l’évolution du climat.

Selon les données de l’Institut de Recherche pour le Développement (IRD), 71 % des glaciers tropicaux de la cordillère des Andes sont situés au Pérou, 20 % en Bolivie, 4 % en Équateur et 4 % en Colombie. Une importante régression de ces glaciers a été observée depuis les années 70. Ils perdent en densité de manière accélérée au fil des ans et, selon les experts du Groupe d’Experts Intergouvernemental sur l’Évolution du Climat (GIEC), sont appelés à disparaître complètement d’ici 20 ou 30 ans.

C’est pour faire face à cette perspective abyssale qu’est né en 2004 l’« Institut Bolivien de la Montagne » (Instituto Boliviano de Montaña), grâce à la motivation de quelques personnes pratiquant des sports de haute montagne. Même s’il est encore en phase de consolidation institutionnelle, l’Institut a commencé à jeter des ponts entre la communauté scientifique internationale, les habitants des montagnes et les autorités compétentes. Il entretient également des contacts avec l’Instituto Nacional de Cambio Climático [Institut national du changement climatique], lequel fonctionne sur la base d’une convention avec les Nations Unies et participe de l’engagement de la Bolivie dans le cadre de la Convention cadre sur le changement climatique.

Les domaines de travail de l’Institut sont : la recherche pour le développement ; le changement climatique et ses effets dans les Andes ; le renforcement des capacités et la formation ; les projets de développement ; et l’éducation à l’environnement.

L’eau, une ressource limitée

La fonte des glaciers s’est fortement accélérée en Bolivie au début des années 80, mais le processus avait déjà commencé antérieurement. C’est pourquoi l’Institut a pris contact avec des chercheurs qui avaient réalisé des mesures plus anciennes des glaciers, afin de les fusionner avec ses propres observations. Le glacier de Chacaltaya en Bolivie, par exemple, est passé d’un déficit annuel moyen de 0,6 mètre d’eau entre 1963 et 1983, à 1,2 mètre entre 1983 et 2003. À ce rythme, les experts prévoient sa disparition complète avant 2015. La régression de ces masses d’eau est en fait très irrégulière. En 2005, par exemple, elles n’ont cédé que quelques mètres, alors qu’elles avaient perdu 20 mètres l’année précédente. Plusieurs autres facteurs extérieurs ont une influence sur la fonte des glaciers, mais l’on estime que le réchauffement climatique et les effets du phénomène El Niño sont les plus déterminants.

L’entreprise Hidroeléctrica de Bolivia [Hydroélectrique bolivienne] a commencé à s’intéresser au problème. En effet, dix de ses centrales hydroélectriques dépendent des glaciers. Une nouvelle centrale a même été construite il y a deux ans sans que soit menée la moindre étude quant aux effets du changement climatique sur la disponibilité future de l’eau. Une prise de conscience de l’enjeu commence toutefois à se faire jour.

En Bolivie, la conséquence majeure attendue du changement climatique n’est pas l’accroissement du risque d’avalanches comme dans d’autres zones, mais le manque d’eau. Les changements qui affectent les glaciers ont en effet des répercussions sur le régime hydrologique des vallées, qui varie en fonction du volume de la masse de glace dans les montagnes. Les glaciers permettent également une distribution plus régulière de l’eau, contrecarrant les effets des périodes de sécheresse. Les conséquences de leur régression, d’ici 15 ou 20 ans, n’en seront que plus graves et irréversibles. L’agglomération de La Paz-El Alto, qui compte 1,5 million d’habitants, dépend en bonne partie de cette eau et risque d’être affectée.
Les autorités ne sont pas encore conscientes de cette menace. D’où le besoin de susciter une prise de conscience et d’identifier les mesures qui pourraient être prises pour remédier à ce problème.

Travailler à la prise de conscience des communautés des montagnes

Dans ces conditions, le travail de l’Institut est actuellement de susciter le débat et de mettre en lumière le problème du changement climatique.
Pour le moment, il se contente de promouvoir des mesures de base, déjà appliquées dans d’autres pays, comme d’éviter de gaspiller l’eau. Ce type de mesures a été appliqué avec succès à La Paz, où les chiffres de la consommation d’eau indiquent qu’il n’y a pas de gaspillage.

L’une des premières études menées par l’Institut, encore en cours de finalisation, porte sur l’impact socio-économique de la régression des glaciers andins. Elle s’inspire de l’étude menée il y a 15 ans par l’IRD, la Coopération française et l’Université de La Paz pour mesurer la taille des glaciers en Bolivie et évaluer quelle serait leur évolution au cours des années suivantes.

Un autre projet est intitulé Líneas Glaciares [Lignes glaciaires]. Il s’agit dune étude d’impact visuel dans une perspective d’éducation à l’environnement. Des excursions successives sont organisées vers les glaciers, au cours desquelles des bornes en pierre sont installées afin de repérer la ligne qui en constituait, à ce moment précis, la limite. Cela permet de rendre matériellement visible le processus de régression, en créant un effet visuel dont l’impact sera plus significatif que celui de simples chiffres.

Les glaciers sont également photographiés tous les semestres à l’aide d’un système GPS. Cela permet d’obtenir en quelques années, vu la vitesse à laquelle régressent les glaciers, une documentation visuelle de grande valeur.

Comme on peut le voir, l’Institut, bien qu’il en soit encore à ses premiers pas, a entrepris d’importants efforts en matière de conscientisation environnementale. Les glaciers sont l’occasion de promouvoir le soin et le respect de l’environnement, une valeur qui doit être inculquée aux petits comme aux grands. Le but est de partager les résultats des études avec les communautés des montagnes. Faute de financement pour ce faire, l’Institut cherche des alliances pour obtenir des ressources et poursuivre son travail de conscientisation.

L’Institut Bolivien de la Montagne a noué des contacts avec des réseaux scientifiques de chercheurs, ce qui lui a permis de constater l’importance d’un travail global et partagé. La problématique des glaciers andins concerne tout le monde, et les conséquences de leur régression, voire de leur disparition, se feront sentir sur toute la planète. C’est pourquoi les mesures de mitigation et d’adaptation à ces changements doivent être prises collectivement. Sinon, il ne restera à un pays comme la Bolivie et à ses habitants d’autre alternative que, à court terme, l’adaptation, et, à moyen et long termes, l’émigration.

La relation étroite entre eau et montagne

Ce qui a motivé l’Institut à entrer en relation avec l’Association des Populations des Montagnes du Monde (APMM) est sa quête d’autres espaces pour échanger et faire connaître ses défis, aussi bien avec des scientifiques qu’avec des organisations de base d’habitants des montagnes.

La régression des glaciers andins affecte significativement la qualité de vie de ceux qui vivent dans les zones environnantes. C’est pourquoi la participation des communautés est indispensable. C’est la l’idée directrice centrale qui anime l’initiative du SERNAP (Servicio Nacional de Áreas Protegidas – Service national des Zones Protégées), qui a créé 22 zones protégées au niveau national, en tenant compte de l’existence des populations qui vivent à l’intérieur de ces zones et leur droit au développement.

Depuis toujours, la montagne a été importante pour l’homme en raison des ressources naturelles qu’elle recèle. Les initiatives décrites visent à valoriser les montagnes non seulement en tant que territoire, milieu physique et naturel, mais également sous l’aspect des personnes qui y vivent, de leurs cultures et de leurs modes de vie, desquels les sociétés occidentales auraient beaucoup à apprendre.

Commentaire

Bien que l’Institut Bolivien de la Montagne en soit encore à ses premiers pas, il fait déjà preuve d’un engagement sérieux en faveur de la conservation du patrimoine naturel et culturel des zones protégées et de leur environnement, ainsi que pour soutenir le développement soutenable national, régional et local.

L’engagement responsable des gouvernements pour mettre en œuvre des mesures significatives pour notre planète et des programmes d’éducation à l’environnement est toutefois également nécessaire. Dans des zones où vivent ensemble des cultures ancestrales dont la cosmovision met la terre au-dessus de toutes les choses, il existe un fort potentiel d’échanges de savoirs. La santé de la planète ne peut être confiée à la bonne volonté de quelques-uns ; c’est une question de survie.

Notes

Entretien réalisé par ALMEDIO Consultants grâce au soutien de la Fondation Charles Léopold Mayer au cours de la rencontre régionale organisée par l’Association des Peuples des Montagnes du Monde (APMM).

Fiche originale en espagnol : Constatando los efectos del calentamiento global en la montaña. Traduction : Olivier Petitjean.

SOURCE
 Entretien avec Dirk Hoffman : Coordinador del Instituto Boliviano de la Montaña boivian-mountain-institute (at) gmx.net, SERNAP, dhoffmann (at) sernap.gov.bo, 22317742/3. dirk1964(at) gmx.net

Post-scriptum (Olivier Petitjean, 2009)

Le glacier Chacaltaya a officiellement disparu, entièrement fondu, en mai 2009, six ans avant la date envisagée par les experts. Cet événement augure mal du rythme auquel disparaîtront les autres glaciers du continent. Au début de l’année 2009, un rapport de la Banque mondiale prédisait que tous les glaciers andins auront disparu d’ici 20 ans, et avec eux la source d’approvisionnement en eau de 77 millions de personnes et l’origine de la moitié de l’électricité consommée en Bolivie, au Pérou et en Équateur.

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