Les partenariats public-public dans le secteur de l’eau

, par  HALL David (PSIRU)

Une large majorité des opérateurs de l’eau dans le monde relève du secteur public. Quelque 90% des grandes villes sont desservies par des opérateurs publics. Autrement dit, c’est parmi les opérateurs de l’eau du secteur public que l’on peut trouver la plus grande richesse d’expérience et d’expertise et la grande majorité des exemples de bonnes pratiques et d’institutions bien gérées. Du fait que ces opérateurs relèvent du secteur public, ils n’ont toutefois pas d’incitation naturelle à offrir un soutien au niveau international. Leur motivation pour s’engager en ce sens est la solidarité, non le profit. Mais, depuis 1990, les politiques mises en œuvre par les bailleurs de fonds internationaux et les banques de développement se sont focalisées sur les entreprises privées du secteur de l’eau et sur les incitations à leur égard. Les vastes ressources du secteur public ont été négligées, voire activement entravées par des politiques biaisées en faveur du privé.

Cependant, loin des regards de ces décideurs internationaux, un nombre croissant d’entreprises de l’eau du secteur public se sont engagées, de manières diverses, pour en aider d’autres à développer leurs capacités et devenir des services publics effectifs et responsables. Ces accords de soutien sont aujourd’hui appelés « partenariats public-public » (PUP). Un partenariat public-public est tout simplement une collaboration entre au moins deux autorités ou organisations publiques, basée sur la solidarité, pour améliorer les capacités et l’efficacité d’un des partenaires dans la fourniture du service public de l’eau et de l’assainissement. Ils ont été décrits comme « une relation entre pairs forgée autour de valeurs et d’objectifs partagés, qui exclut la recherche du profit ».

Les partenariats public-public évitent les risques fréquemment associés aux partenariats public-privé : coûts de transaction, ruptures de contrats, renégociation, complexité de la législation, opportunisme commercial, tarification monopoliste, secret commercial, risques liés aux taux de change, et manque de légitimité publique.

Les partenariats publics-publics en pratique

Les partenariats public-public ne sont pas seulement un concept abstrait. Plus de 70 pays se sont engagés dans de tels partenariats, tandis que seulement 44 pays ont introduit une participation du secteur privé dans le secteur de l’eau (selon le PPIAF – Public-Private Infrastructure Advisory Facility). Ces partenariats public-public couvrent une période de plus de 20 ans et ont concerné toutes les régions du monde. Les premiers d’entre eux datent des années 1980, lorsque le Waterworks Bureau de Yokohama au Japon commença à nouer des partenariats pour la formation du personnel dans d’autres pays asiatiques.

De manière générale, l’objectif des partenariats public-public est de renforcer les capacités du partenaire soutenu. Dans la pratique, les partenariats public-public peuvent inclure une large gamme d’objectifs spécifiques, qui peuvent être répartis en cinq grandes catégories :
 formation et développement des ressources humaines ;
 appui technique dans des domaines variés ;
 amélioration de l’efficacité et renforcement institutionnel ;
 financement du service de l’eau ;
 amélioration de la participation.

On peut distinguer deux grandes catégories de partenariats public-public : les partenariats internationaux, dont les parties prenantes sont basées dans des pays différents ; et les partenariats intra-nationaux, où les partenaires sont du même pays.

Les initiatives des bailleurs de fonds internationaux et les partenariats public-public

Les bailleurs de fonds et les agences internationales ont commencé à reconnaître l’impact potentiel des partenariats public-public. Le rôle potentiel de ces initiatives dépend des dynamiques politiques. Les plus significatives à ce jour sont les « partenariats entre opérateurs de l’eau » lancés par un Conseil consultatif de l’ONU et la ligne budgétaire de 40 millions d’euros créée par l’Union européenne pour des partenariats à but non lucratif dans le secteur de l’eau en Afrique et ailleurs.

Partenariats entre opérateurs de l’eau

Les Partenariats entre opérateurs de l’eau (POE, ou Water Operator Partnerships – WOPs) sont une initiative issue du Conseil consultatif sur l’eau et l’assainissement du Secrétariat général de l’ONU. Les POE ont initialement été conçus sur la base du concept des partenariats public-public, également qualifiés de « jumelages ». La possibilité de participation des opérateurs privés à ce mécanisme est le fruit d’un compromis atteint au sein de ce Conseil consultatif. Grâce à leur machine de lobbying sophistiquée et à leurs budgets, les compagnies privées ont davantage d’influence sur les initiatives régionales et globales que les opérateurs du secteur public.

Cette influence est manifeste dans la manière dont sont structurées les initiatives comme les projets « Waterlinks » de la Banque de développement asiatique (ADB), celles de l’USAID et du gouvernement des Pays-Bas, ainsi que les POE en Amérique latine, qui sont dominés par les partenariats impliquant des compagnies privées. L’approche de Waterlinks met même l’accent, au titre des avantages des POE, sur « les opportunités d’étendre les partenariats commerciaux potentiels ». Un nouveau comité de coordination international de l’Alliance mondiale des POE (Global WOPs Alliance, GWOPA) d’UN-Habitat a été installé en janvier 2009, avec une composition diverse (réseaux régionaux de POE, compagnies privées, syndicats, ONG, banques de développement), mais une majorité d’opérateurs publics de l’eau. Cela devrait permettre de limiter l’exploitation commerciale du concept de POE.

Financement de l’UE pour des partenariats public-public en Afrique, Caraïbes et Pacifique (APC)

En 2010, l’Union européenne prit l’initiative novatrice de rendre disponibles des financements spécifiquement dédiés aux partenariats non-commerciaux en Afrique et ailleurs. L’UE a réservé 40 millions d’euros au sein de la Facilité Eau UE-ACP pour soutenir des partenariats sans but lucratif dans le but de « renforcer les capacités du secteur de l’eau et de l’assainissement dans les pays ACP, pour permettre une meilleure gouvernance et gestion de l’eau et de l’assainissement, ainsi qu’un développement et une maintenance durables des infrastructures ». Cela représente une opportunité unique pour les entreprises de l’eau, les collectivités locales et les autres organisations du secteur dans les pays ACP pour développer sur le long terme leurs capacités, au bénéfice des communautés qu’elles desservent, sans aucun des risques associés aux arrangements commerciaux. Les services de l’eau et autres partenaires potentiels des pays de l’Union européenne peuvent pour leur part s’engager dans des partenariats pour contribuer au développement durable et à l’atteinte des objectifs du millénaire pour le développement dans les pays ACP. Fin 2010, il était manifeste que l’initiative rencontrait un grand succès : davantage de propositions avaient été reçues qu’il était possible d’en financer.

Les partenariats public-public dans le monde

Les partenariats en Asie (Japon, Cambodge, Pakistan, Chine, Inde)

Le Japon a une longue histoire de partenariats public-public, auxquels il a été abondamment fait recours pour le développement des systèmes d’égouts au Japon même dans les années 60. Depuis les années 80, Yokohama, Osaka et d’autres municipalités ont assuré des sessions de formation dans le domaine de l’assainissement à destination d’autorités publiques dans d’autres pays asiatiques, financés paincipalement par l’agence d’aide japonaise JICA.

L’Autorité d’alimentation en eau de Phnom Penh gère un centre de formation pour cadres et employés des entreprises provinciales de l’eau afin qu’ils apprennent de l’expérience de Phnom Penh. L’Autorité a également fait bénéficier de son assistance les entreprises de l’eau de Siem Reap au Cambodge et de la province de Binh Duong au Vietnam, et a conclu un jumelage avec Iloilo City aux Philippines pour des activités de promotion de l’assainissement et de l’hygiène.

L’Orangi Pilot Project de Karachi, au Pakistan, est le fruit d’une organisation communautaire qui a conçu et développé un réseau d’égouts dans toute la zone concernée, en pavant les voies au-dessus de canalisations construites grâce à la main d’œuvre locale et la à microfinance, en suivant les voies de drainage naturelles. L’autorité municipale a construit les canalisations principales dans les quartiers concernés pour soutenir ces développements. Même si ce projet est surtout réputé pour son aspect communautaire, il a été conçu d’emblée comme un exemple de « coopération avec le gouvernement » et d’extension grâce à une « collaboration avec les agences publiques ».

Même si les agences de développement se plaisent à faire la publicité des partenariats public-privé en Chine impliquant Suez ou Veolia pour construire des usines de traitement des eaux usées, en fait, la majorité des usines de traitement des eaux en Chine ont été développées par les municipalités à travers des partenariats public-public avec des compagnies publiques de l’eau locales.

En Inde, le Tamil Nadu Water Supply and Drainage Board (TWAD) a développé une approche innovante de gestion du changement démocratique dans le domaine des services d’eau et d’assainissement, à travers un partenariat public-public collaboratif à l’échelle de tout l’État avec les autorités de l’eau et les communautés (Lire sur ce site La démocratisation de la gestion de l’eau, ou comment se réapproprier un bien public. ). Cette approche a été adoptée nationalement par le gouvernement indien, et mise en œuvre à travers d’autres partenariats public-public avec des autorités locales de l’eau dans des États comme le Maharashtra et le Jharkhand.

Partenariats public-public en Amérique latine (Honduras, Brésil, Costa Rica, Argentine, Uruguay)

Au Honduras, où la plupart des systèmes d’eau ruraux sont administrés par des entités communautaires locales ou des ONG, des techniciens employés par la compagnie nationale de l’eau (SANAA) les aident dans leur développement institutionnel et le renforcement de leurs capacités à travers des actions de formation et une assistance technique.

Au Brésil, dans les années 70 et 80, l’agence fédérale PLANASA a assuré un financement public pour soutenir les investissements des entreprises de l’eau des États dans leurs efforts pour relever le défi d’une urbanisation galopante. Parmi les partenariats public-public plus récents, on peut signaler la manière dont l’opérateur municipal de l’eau d’Ibiporã, la SAMAE, a formé avec dix autres services municipaux un consortium dans le but de créer un laboratoire d’analyse de la qualité de l’eau, et s’est engagé dans un partenariat public-public avec l’agence d’assistance technique de l’État du Paraná EMATER et avec une municipalité pour étendre les services d’alimentation en eau dans les zones rurales.

Au Costa Rica, l’opérateur d’État d’approvisionnement en eau et d’assainissement AyA (Instituto Costarricense de Acueductos y Alcantarillados) intervient également en appui des services ruraux communautaires (ASADAS). AyA leur apporte un soutien financier et technique, et se substitue le cas échéant, au terme d’une procédure bien définie, à ceux de ces ASADAS qui n’arrivent pas à assurer le service.

En Argentine, après la rupture du contrat de concession d’Azurix dans l’agglomération de Buenos Aires, le gouvernement provincial a créé une nouvelle compagnie du secteur public, Aguas Bonaerense SA (ABSA), avec une forte participation démocratique à des niveaux multiples (lire Argentine : une coopérative de travailleurs prend la relève d’Enron). La coopérative de travailleurs « 5 de setiembre S.A. » est co-propriétaire et opérateur d’ABSA ; elle fournit également une assistance technique à de nombreux services de l’eau plus petits en Argentine. Elle soutien également la ville péruvienne de Huancayo à travers un partenariat visant à réduire les coûts, améliorer la maintenance et les investissements, orienter la fourniture du service selon les besoins réels de la population, et mettre en œuvre une réforme institutionnelle pour démocratiser ce service public et le rendre plus responsable vis-à-vis de la population (lire Huancayo : de la résistance au partenariat public-public).

La compagnie publique de l’eau uruguayenne, OSE, a conclu un partenariat pour apporter une expertise technique et son soutien en termes d’amélioration de la gestion à l’ESSAP, l’autorité de l’eau paraguayenne. L’OSE a également apporté un soutien technique pour la conception d’un système d’approvisionnement en eau dans la région du lac Nokoué au Bénin.

Partenariats public-public en Europe (Suède, Finlande, Pays-Bas, France, Espagne)

La région de la mer Baltique connut des partenariats public-public au début des années 90. Des autorités publiques de l’eau bien établies, comme Stockholm Vatten et Helsinki Water nouèrent des partenariats avec des villes d’Estonie, de Lettonie ou de Lituanie, qui venaient de quitter l’Union soviétique. Ces partenariats avaient pour objet de renforcer les capacités des opérateurs publics municipaux de l’eau, pour les mettre en condition de gérer les aspects financiers et opérationnels du service, et étaient souvent liés à des investissements en capitaux, par exemple pour la construction d’usines de traitement des eaux usées. Tous les audits et évaluations de ces partenariats ont été dithyrambiques.

Les compagnies d’eau néerlandaises se sont engagées dans une grande variété de partenariats internationaux. Le service de l’eau d’Amsterdam, Waternet, s’est engagé dans des partenariats internationaux depuis 1991. Il a créé en son sein une division internationale, Wereldwaternet. Waternet travaille en Égypte depuis 1991 avec les services de l’eau d’Alexandrie, de Damiette et des provinces de Beheira et Gharbeya. Il est également impliqué dans un jumelage avec le Surinam depuis 1996, pour l’amélioration et l’extension du service de l’eau potable, des réseaux de distribution, la réduction des pertes, la mise en place d’un système d’information, et la sécurisation de l’approvisionnement des zones rurales.

SIAAP, l’autorité en charge de l’assainissement à Paris, a noué un partenariat avec la ville de Hue au Vietnam pour l’aider à rénover et planifier la conception future de son réseau d’assainissement. Un partenariat similaire a également été initié avec le Maroc. Eau de Paris, la compagnie publique de l’eau de la capitale française, est impliquée dans un partenariat dans le domaine de la formation avec l’école d’ingénieurs de Sfax en Tunisie. Elle a également signé un contrat de partenariat avec l’opérateur de l’eau et de l’assainissement de Moscou, Mosvodokanal.

CPASE (Consorcio Provincial de Aguas de Sevilla), l’opérateur de l’eau de la province de Séville en Espagne, s’est engagé dans un grand nombre de partenariats public-public, parmi lesquels : Ciudad Sandino, au Nicaragua, pour le renforcement des capacités et la mise en place d’une compagnie municipale de l’eau avec participation du public ; l’entreprise municipale de l’eau de Gibara (Cuba) pour la réduction des pertes sur le réseau, la formation des employés, la fourniture de technologies de gestion de l’information et d’équipements ; Cuyultitán (Salvador) pour la mise en place d’un opérateur de l’eau public et la construction d’infrastructures.

* David Hall est directeur de l’Unité de recherches de l’Internationale des services publics (Public Services International Research Unit, PSIRU) à la Business School de l’Université de Greenwich, Royaume-Uni.
Cet article est basé sur “Public-public partnerships in Water”. PSIRU, mars 2009 par David Hall, Emanuele Lobina, Violeta Corral, Olivier Hoedeman, Philip Terhorst, Martin Pigeon, Satoko Kishimoto. http://www.psiru.org/reports/2009-0...

Cet article fait également partie d’un numéro spécial sur l’eau et la privatisation de l’eau en Afrique, réalisé dans le cadre d’une collaboration entre le Transnational Institute, Ritimo, et Pambazuka News.

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