Les pollutions transfrontalières, une menace pour la paix mondiale ?

, par  Olivier Petitjean

La pollution de l’eau, dans le cas de fleuves partagés entre plusieurs pays, peut devenir une source de conflit, comme l’illustre le cas de la « guerre du papier » entre Argentin et Uruguay.

Si le spectre de futures « guerres de l’eau » est régulièrement agité par les médias et les responsables politiques, la plupart des gens pensent généralement, sous ce titre, à des conflits pour le partage de l’eau et l’accès à cette ressource (voir le texte L’eau, source de conflits et de coopération). On pense moins spontanément que les problèmes de pollution de l’eau puissent constituer une cause de conflit entre des pays. Effectivement, si l’on en croit les données compilées par les chercheurs de l’Université de l’Oregon relatives aux conflits et aux coopérations autour de l’eau au niveau mondial, seule une minorité des conflits observés et des traités bilatéraux et multilatéraux existant porte directement sur des questions de qualité de l’eau (autour de 6 % dans les deux cas).

Il faut toutefois remarquer qu’en pratique, les deux aspects ne sont pas toujours facilement séparables : une eau fortement polluée est ipso facto une eau indisponible pour la consommation ou l’irrigation ; inversement, la plupart des formes de dépollution reposent sur la dilution des substances incriminées, ce qui requiert de grandes quantités d’eau. De sorte qu’il est difficile de séparer réellement les conflits liés à la quantité d’eau de ceux liés à sa qualité : le plus souvent, ces deux aspects entrent à des degrés divers en ligne de compte.

En outre, plusieurs cas récents, dans plusieurs régions de monde, peuvent faire craindre une multiplication des conflits liés à la pollution, notamment à mesure que les industries les plus polluantes sont délocalisées vers les pays du Sud. Algérie et Tunisie se sont ainsi affrontées récemment sur la question de mines de mercure affectant la qualité des eaux du fleuve Medjerda. En Amérique du Nord, États-Unis et Canada ne parviennent pas réellement à travailler ensemble sur la question de la pollution des Grands Lacs, se contentant souvent de s’en renvoyer mutuellement la responsabilité (voir le texte Grands lacs nord-américains).

Un exemple extrême : la « guerre du papier »

Le cas le plus emblématique reste toutefois celui de la « guerre du papier » de 2006-2007 entre Argentine et Uruguay, dans la mesure où il s’agit d’un conflit entre deux pays voisins dont les relations sont habituellement plutôt bonnes. La différence de vue entraînée par le projet uruguayen de construction de deux usines de pâte à papier sur le fleuve Uruguay, qui marque la frontière entre les deux pays a rapidement dégénéré en une succession d’incidents diplomatiques et un affrontement verbal continu entre les gouvernants des deux pays, malgré les tentatives de médiation effectuées notamment par l’Espagne.

Les autorités argentines se sont en effet fortement opposées à la construction de ces deux usines, en raison de la pollution des eaux du fleuve qu’elles ne manqueraient pas d’entraîner. La papeterie figure en effet parmi les secteurs industriels les plus polluants pour les milieux aquatiques. Derrière cette prise de position du pouvoir argentin, il y avait la forte mobilisation des populations résidant à proximité du fleuve, qui ont remis au goût du jour les modes d’action hérités des mouvements sociaux du début des années 2000 et notamment des « piqueteros ». Ils ont par exemple bloqué les ponts sur le fleuve Uruguay pendant de longues semaines. Écologistes et riverains s’opposaient à un projet qui menaçaient selon eux les secteurs du tourisme et de la pêche artisanale. Les autorités et la population uruguayennes, de leur côté, n’entendaient pas renoncer, pour faire plaisir à leur voisin, à des développements qui potentiellement devaient accroître d’un coup le PIB du pays de 1,6 %, entraînant la création de plus de 5000 emplois. Ils faisaient valoir que les pollutions engendrées ne dépasseraient pas les standards internationaux et que de telles usines existaient déjà du côté argentin.

Un traité existait depuis 1975 régissant l’administration conjointe du fleuve par les deux pays, qui avait établi une commission bilatérale chargée de trancher les différends. Celle-ci n’étant pas parvenue à un consensus, le litige a été porté devant d’autres instances internationales. Le recours au tribunal du Mercosur ayant échoué à son tour, les deux parties ont été jusqu’à saisir successivement la Cour internationale de justice : d’abord, l’Argentine a voulu faire condamner l’Uruguay pour violation du traité régissant le fleuve et faire cesser d’urgence la construction des usines en raison de risques environnementaux graves ; en réponse, l’Uruguay a poursuivi l’Argentine pour le manque à gagner occasionné par les barrages routiers et le retard pris dans la construction des usines. Dans les deux cas, la Cour internationale de justice a décidé qu’il n’y avait pas lieu d’appliquer des mesures conservatoires.

Le conflit a même failli faire l’objet d’une militarisation lorsque le gouvernement uruguayen a décidé en novembre 2006 de mobiliser l’armée pour protéger les chantiers de l’usine projetée par la multinationale finlandaise Botnia contre les manifestants argentins. Ces effectifs ont été retirés au bout d’un mois à la demande de Botnia.

Finalement, l’une des usines prévues (celle opérée par Botnia) a été ouverte en novembre 2007, tandis que l’autre projet a été abandonné. La situation s’est progressivement calmée entre les deux pays. Le conflit a toutefois démontré la fragilité des mécanismes d’intégration régionale, puisque le Mercosur n’est pas parvenu à gérer la situation.

Les décisions d’implantation de certaines industries seront de plus en plus influencées par des facteurs environnementaux, que ce soit pour se rapprocher des ressources les moins chères ou pour aller dans les pays pratiquant une sorte de moins-disant écologique. La « guerre du papier » illustre les risques potentiels, en termes de conflits transfrontaliers, qu’une situation de ce type peut entraîner, même là où une forme de coopération régionale institutionnalisée existe déjà. Il existe cependant des cas où renforcement de l’intégration régionale et coopération en matière de lutte contre la pollution vont de pair : en premier lieu la gestion des grands fleuves européens, Rhin et Danube.

La gestion des grands fleuves européens, une voie à suivre ?

Le Rhin a connu une forte pollution depuis le XIXe siècle, qui n’a fait que s’aggraver au cours du siècle suivant. Dans les années 1970, il transportait jusqu’à la mer du Nord les rejets de l’industrie chimique suisse, de la potasse française, des usines métallurgiques et des mines de charbon allemandes, menaçant la vie aquatique du fleuve mais aussi l’eau potable et l’agriculture des Pays-Bas. Les concentrations de chrome, de cuivre, de nickel et de zinc dépassaient les taux de toxicité. Une Commission internationale pour la protection du Rhin (CIPR) fut mise en place dès 1950, regroupant tous les pays riverains, mais la coopération demeura difficile. La signature en 1976 de deux Conventions sur les chlorures et la pollution chimique fut peu suivie d’effets. La France notamment fit preuve de mauvaise volonté pour réduire les émissions de chlorure des usines de potasse alsaciennes, et ne ratifia jamais la Convention correspondante. Suite à la catastrophe de Sandoz en 1986, c’est-à-dire l’incendie d’une usine chimique près de Bâle et la pollution qui s’ensuivit, la coopération régionale commença toutefois prendre une nouvelle ampleur. En 1987 fut signé un « Plan d’action Rhin », visant à réduire fortement certaines pollutions prioritaires, avec un succès relatif. Le champ de la coopération fut ensuite élargi à la protection contre les inondations. Une nouvelle Convention pour la protection du Rhin fut signée en 1999. En 2001, les pays concernés adoptaient un Programme pour le développement durable du Rhin intitulé « Rhin 2020 », qui intègre désormais également la protection des eaux souterraines. La coopération pour lutter contre la pollution du Rhin, portée par la CIPR, a donc nettement progressé au cours des dernières décennies, aussi bien en ce qui concerne les mécanismes institutionnels qu’en ce qui concerne les résultats atteints, même s’il reste beaucoup à faire.

De même, en ce qui concerne le Danube, les instruments internationaux mis en place dans les années 90 après l’ouverture du bloc soviétique, au premier rang desquels la Commission internationale pour la protection du Danube dont le siège est à Vienne, commencent à porter leurs fruits, entre autres, grâce au processus d’accession des pays de l’Est à l’Union européenne et aux financements considérables mobilisés au niveau européen et international (voir le texte Pour sauvegarder les eaux du Danube, les pays riverains tentent de mettre en place des accords destinés à harmoniser la gestion du fleuve).

SOURCES PRINCIPALES
 Rapport PNUD 2006 sur le développement humain et l’eau. http://hdr.undp.org/fr/rapports/mon...
 Entrée Wikipédia « Guerre du papier ». http://fr.wikipedia.org/wiki/Guerre...

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