Munich, New York, Paris : trois villes qui se préoccupent d’agriculture pour protéger leur eau

Confrontées à la montée des pollutions diffuses d’origine agricole (nitrates et pesticides), de nombreuses villes – encouragées par les entreprises privées qui profitent de ces marchés – choisissent de renforcer leurs capacités de traitement et de potabilisation de l’eau à travers la production d’usines. Mais dans ce domaine, comme d’autres, la prévention est souvent bien plus efficace – et moins coûteuse à moyen terme – que le traitement a posteriori. C’est ce que montrent les exemples de trois villes – Munich, New York et plus récemment Paris – qui se sont engagées dans des politiques innovantes de protection de leurs ressources en amont, via notamment le soutien à une agriculture non polluante. Ou comment le service de l’eau peut renforcer les liens entre urbains et ruraux et servir de catalyseur à une reconversion des systèmes agricoles et alimentaires.

Munich : des aliments bio et une eau non polluée

Comment Munich, agglomération de 1,3 millions d’habitants, peut-elle faire encore aujourd’hui l’économie de tout traitement de potabilisation de l’eau ? Une partie de la réponse se trouve dans des décisions prises à la fin du siècle dernier. À cette époque, le système d’alimentation de la ville est mis en place à partir des eaux de la vallée du Mangfall . Bien que distante de 40 kilomètres, cette vallée, qui assure aujourd’hui 80% de l’approvisionnement de l’agglomération, est choisie pour sa pluviométrie élevée, la capacité filtrante de ses sols, et surtout pour son altitude, qui permet une adduction gravitaire. À cette époque aussi, la municipalité procède à l’acquisition des terres agricoles du bassin hydrographique du Mangfall. La plupart des terrains sont boisés, l’idée – avant-gardiste pour l’époque – étant de créer un filtre naturel épurateur des eaux, lequel est « propriété de la ville » sur 1600 hectares. D’ailleurs, et cela ne doit rien au hasard, la gestion et l’exploitation de ces boisements est assurée par le service forestier municipal pour le compte du service municipal… des eaux.

Une stratégie payante puisque – 1200 analyses microbiologiques et 200 tests chimiques mensuels en font foi – les 110 millions de mètres cube consommés chaque année par les habitants de Munich et ses vingt communes environnantes sont, sans traitement préalable, d’une qualité qui s’apparente à une eau minérale.

Au début des années 1990, toutefois, le service des eaux (privatisé en 1998) note avec inquiétude la très lente (mais constante depuis 30 ans) augmentation des teneurs en polluants d’originel agricole. Certes, les chiffres sortis des éprouvettes sont loin d’être inquiétants. Les plus mauvaises analyses font état d’un maximum de 15 milligrammes/litre et de 0,065 microgrammes de pesticides au cours de l’année 1993, valeurs qui sont très en dessous des valeurs limites définies par les directives « nitrates » (50 mg/l) et « pesticides » (0,5 µg/l) de l’Union européenne.

L’alerte est tout de même prise très au sérieux. Acquérir des terres supplémentaires dans le périmètre des zones de captage pour les boiser est une solution rapidement écartée compte tenu des tensions sur le foncier. La ville décide donc d’encourager l’agriculture biologique sur l’ensemble des terres agricoles situées en amont, dans la vallée du Mangfall. Encourager : le mot est d’évidence trop faible, puisqu’au fil des ans, la ville va intervenir très directement sur tous les maillons de la filière, de la production à la commercialisation, se faisant fort d’assurer des débouchés aux produits biologiques dans ses propres établissements : crèches, cantines, etc.

Extrait de « Munich : le « bio » pour une eau non traitée », https://www.partagedeseaux.info/Munich-le-bio-pour-une-eau-non-traitee

New York : rémunérer des services écologiques pour préserver la qualité de l’eau

Au début des années 1830, la ville de New York a construit un réseau d’eau largement reconnu comme unique au monde. Déterminés à avoir une eau d’excellente qualité avec un coût d’exploitation le plus bas possible, des générations de dirigeants ont choisi d’aller loin vers le nord et l’ouest de la ville, et finalement jusqu’aux montagnes Catskills, à plus de 160 kilomètres, afin de trouver des environnements ruraux où l’eau serait pure.

Pendant 150 ans, jusqu’aux années 1980, New York a tiré bénéfice de ces écosystèmes ruraux préservés qui lui fournissaient une eau pure moins chère que dans les autres villes. Mais à cette époque, alors que l’agriculture industrialisée commençait à transformer les campagnes américaines et à ébranler la vitalité économique des petites exploitations familiales de la région des Catskills, tout a changé. Les agriculteurs des Catskills, dans une tentative désespérée pour rester viable au niveau économique, ont commencé à industrialiser leurs pratiques agricoles. Le recours aux engrais a augmenté, l’érosion s’est accélérée, et les craintes de contamination par des pathogènes se sont amplifiées. Toujours dans une optique de survie économique, ils se sont également mis à vendre les parties boisées de leurs terres, ouvrant la voie à des développements immobiliers périurbains nuisibles pour l’environnement. Les tentatives de contrôler ces transformations à travers la réglementation environnementale classique se sont révélées un échec complet.

Laisser se dégrader la qualité de l’eau de la région des Catskills pour ensuite dépenser d’énormes sommes afin de la purifier n’était pas une solution idéale. Les premiers calculs ont montré qu’un programme global de protection du bassin versant coûterait beaucoup moins cher, assurerait de manière plus efficace une bonne qualité de l’eau et engendrerait également de nombreux autres bénéfices, alors qu’une stratégie de traitement de l’eau ne serait rien de plus qu’un gouffre financier. Au lieu de payer pour nettoyer les conséquences de la dégradation des zones de captage, la ville investirait dans la préservation de l’environnement rural des montagnes Catskills, qui lui fournissait la meilleure eau urbaine du monde. La philosophie de notre équipe était qu’un bon environnement produit une bonne eau. De sorte que payer pour protéger l’environnement d’une région située à 160 kilomètres ou plus représentait un investissement intelligent et profitable pour la ville de New York.

Le problème était de dépasser l’histoire, les préjugés et le folklore bureaucratiques, ainsi que les partis pris institutionnels et de se concentrer sur la conception d’un programme efficace de prévention de la pollution. Cela prit 18 mois de travail entre la municipalité de New York et la communauté des agriculteurs des Catskills, mais, finalement, un accord innovant de grande portée, basé sur des notions que l’on regroupe aujourd’hui sous le terme de « services écologiques », fut conclu.

D’un point de vue opérationnel, la question devint celle de savoir à quel type d’investissements la ville de New York devait procéder. Certains étaient évidents, tel que l’achat de terres particulièrement cruciales du bassin versant menacées par le développement, la restauration des corridors fluviaux, ou encore, une meilleure gestion des terres possédées par la ville. Mais ils ne suffisaient pas à résoudre le problème de la pollution diffuse issue de terres agricoles privées et d’autres sources rurales. La ville initia un programme sans précédent de réglementation et de contrôle des pollutions diffuses dans le bassin versant.

[Après une phase de conflit puis de dialogue,] les agriculteurs des Catskills ont créé un programme, qu’ils ont appelé « planification agricole intégrale », pour suggérer qu’il intègre la planification environnementale dans la stratégie commerciale de l’exploitation. Dans ce cadre, un plan de contrôle de la pollution fut mis au point pour chaque exploitation par une équipe composée de l’agriculteur concerné et d’experts agricoles locaux. Au lieu de mettre en œuvre un modèle unique de contrôle de la pollution, le plan était adapté aux besoins de chaque exploitation et de chaque agriculteur, faisant appel aux connaissances et à l’expertise de ce dernier. Le plan était ensuite revu et approuvé par le Conseil agricole du bassin versant, une institution locale créée pour gérer le programme « Catskill Farm ». Une fois cette approbation obtenue, la ville payait les investissements nécessaires à la mise en œuvre du plan, en plus de verser une allocation annuelle à l’exploitant. En rejoignant le programme, les agriculteurs n’étaient pas seulement soulagés du fardeau continuel de traiter avec les régulateurs chargés du contrôle de la pollution. Un autre facteur incitatif déterminant était qu’une grande partie des plans individuels entraînait aussi pour eux des bénéfices économiques, en les aidant à rétablir une agriculture viable dans la région.

Afin de garantir que les efforts de contrôle de la pollution atteignent une masse critique suffisante, l’objectif du programme Catskill Farm était d’atteindre, en cinq ans, un taux de participation de 85 % au sein des agriculteurs. Ainsi, même si le programme demeurait volontaire, la communauté agricole des Catskills devait s’engager dans son ensemble afin d’atteindre un but qui permettrait à la ville d’atteindre ses objectifs de réduction de la pollution. En fait, ces objectifs ont été dépassés. Après cinq ans, 93 % de tous les agriculteurs de la région participaient au programme. En termes de qualité de l’eau, les résultats parlent d’eux-mêmes :

  • Le taux de pollution agricole a diminuée de 75 % à 80 %.
  • L’excellente qualité de l’eau de la ville a été préservée et même améliorée, et la menace de devoir dépenser plusieurs milliards de dollars pour des traitements avancés de l’eau a été écartée.
  • Le coût du programme a été amorti plusieurs fois grâce aux économies considérables qu’il a permis de réaliser, ce qui a joué un rôle essentiel dans la stabilisation des prix du service de l’eau et des égouts, un gain majeur pour les foyers à bas revenus.
  • Le programme a été très populaire auprès des citoyens urbains et a contribué à construire une base de soutien pour de futurs efforts de protection du bassin versant.
  • À une échelle plus large, le programme a encouragé la création d’autres programmes agricoles de protection des bassins versants et de l’environnement à travers tous les États-Unis. Il a également catalysé un intérêt grandissant pour les solutions non-structurelles pour satisfaire les besoins en eau, par opposition à l’approche traditionnelle de l’industrie de l’eau américaine, focalisée sur la construction d’infrastructures.

Extrait de « Comment la rémunération des services écologiques a permis à New York de préserver la qualité de son eau », https://www.partagedeseaux.info/Comment-la-remuneration-des-services-ecologiques-a-permis-a-New-York-de

Paris : de la remunicipalisation à la réinvention du service de l’eau

Comment garantir la qualité de l’eau de Paris ? C’est le traitement de l’eau en aval qui a longtemps été privilégié : des usines de dépollution tentent d’éliminer une grande partie des polluants. Au début des années 2000, la ville de Paris décide d’agir aussi en amont. « Nous prenons en compte la qualité de l’eau dès que la pluie touche le sol, relève Claude Vignaud, chef de l’agence Eau de Paris Sens-Provins. On est dans une logique de prévention. » Dans la vallée de la Vanne, autour de la source d’Armentières, et sur l’ensemble des zones d’alimentation des captages d’eau, l’agence Eau de Paris, qui a repris en 2010 la gestion publique de l’eau, travaille auprès des agriculteurs. L’objectif ? Favoriser des pratiques agricoles plus respectueuses de l’environnement.

Christophe Dupuis est l’un d’eux. La trentaine, il a repris la ferme de son père en 2008. 160 hectares de céréales et trois en maraîchage, sur la commune d’Arces-Dilo (Yonne), à une vingtaine de kilomètres de la source d’Armentières. « J’ai converti l’exploitation familiale au bio, par conviction personnelle mais aussi pour favoriser la qualité de l’eau, explique le paysan. Je n’avais pas envie que mes activités professionnelles aient un impact négatif sur les sources de la région. » La qualité de l’eau ne dépend pas, en effet, que des terrains situés au dessus des points de captage, mais d’une zone de 47 000 hectares sur laquelle est installée la ferme aux Cailloux de Christophe Dupuis. Le fermier a d’abord reçu des conseils techniques de l’agence Bio Bourgogne, qui vise à développer l’agriculture biologique sur le territoire. Le partenariat monté entre Bio Bourgogne et Eau de Paris permet aussi d’aider les agriculteurs à recevoir des aides européennes de la Politique agricole commune, dédiées à la protection de l’eau.

Résultat : la zone qui ne comptait en 2008 que 286 hectares de surfaces engagées en bio, en compte aujourd’hui 2100. Soit une progression de plus de 700 % ! Le nombre d’agriculteurs bio est significatif : ils étaient cinq en 2008, et désormais 29 en 2015. Une vingtaine d’entre eux se sont regroupés dans une association, Agribio Vanne et Othe, pour tenter de convaincre d’autres agriculteurs de s’engager dans une démarche de conversion au bio. « Une dynamique très forte s’est enclenchée, estime Hélène Levieil. Le bio est devenu une possibilité comme une autre, beaucoup moins marginale qu’il y a quelques années. »

Eau de Paris multiplie ces actions de soutien à l’agriculture biologique ou à des pratiques raisonnées sur les 240 000 hectares d’aires d’alimentation des captages d’eau souterraine. Avec des conséquences positives sur la qualité de l’eau ? « Pour les nitrates, nous sommes autour de 30 mg/l – pour une norme maximale située à 50 mg/l – et les niveaux se sont stabilisés, indique Claude Vigneaux. Concernant les pesticides, les seuils sont parfois dépassés. Globalement, la qualité de l’eau du bassin de la Vanne est stable grâce à toutes les actions que nous menons. Si ces actions n’existaient pas, la qualité de l’eau se dégraderait. » Les produits chimiques peuvent être décelés dans le sol et les eaux, bien après leur interdiction. On retrouve parfois dans l’eau de la Vanne des traces d’atrazine, une molécule présente dans un pesticide utilisé notamment dans les cultures de maïs, interdite en 2002 par l’Union européenne.

« Aujourd’hui, les pics de pesticides dus aux traitements agricoles ont été réduits, assure Christophe Gerbier d’Eau de Paris. Mais il va falloir attendre 10 à 20 ans pour avoir un véritable effet de diminution. Car ce n’est pas en 10 ans que ces niveaux ont monté ! » Si certains pesticides ne sont plus détectés, d’autres apparaissent... ou ne sont pas encore connus. « Nous renforçons notre recherche sur les nouveaux pesticides », explique Christophe Gerbier. « C’est le système global qui devra être remis en cause, estime Célia Bauel, présidente d’Eau de Paris et adjointe à la mairie de Paris. Actuellement, nous payons la dépollution de l’eau et peut-être les coûts de santé. »

Extraits de « Boire l’eau du robinet à Paris, risque d’exposition à des pollutions ou acte écologique ? », https://www.bastamag.net/Boire-l-eau-du-robinet-risque-d-exposition-a-des-pollutions-ou-acte-ecologique

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Photo : David Goehring CC via flickr

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