La ville de Munich incite depuis 1991 les agriculteurs situés dans la zone d’influence des points de captage d’eau à se convertir à l’agriculture biologique. Au robinet des Munichois aujourd’hui, une eau pure et non traitée.
Comment Munich, agglomération de 1,3 millions d’habitants, peut-elle faire encore aujourd’hui l’économie de tout traitement de potabilisation de l’eau ? Une partie de la réponse se trouve dans des décisions prises à la fin du siècle dernier. À cette époque, le système d’alimentation de la ville à partir des eaux de la vallée du Mangfall est mis en place. Bien que distante de 40 kilomètres, cette vallée, qui assure aujourd’hui 80 % de l’approvisionnement de l’agglomération, est choisie pour sa pluviométrie élevée, la capacité filtrante de ses sols, et surtout pour son altitude, qui permet une adduction gravitaire. À cette époque aussi, la municipalité procède à l’acquisition des terres agricoles du bassin hydrographique du Mangfall. La plupart des terrains sont boisés, l’idée – avant-gardiste pour l’époque – étant de créer un filtre naturel épurateur des eaux, lequel est « propriété de la ville » sur 1 600 hectares. D’ailleurs, et cela ne doit rien au hasard, la gestion et l’exploitation de ces boisements est assurée par le service forestier municipal pour le compte du service municipal… des eaux.
Une stratégie payante puisque – 1 200 analyses microbiologiques et 200 tests chimiques mensuels en font foi – les 110 millions de mètres cube consommés chaque année par les habitants de Munich et ses vingt communes environnantes sont, sans traitement préalable, d’une qualité qui s’apparente à une eau minérale.
Au début des années 90, toutefois, le service des eaux (privatisé en 1998) note avec inquiétude la très lente (mais constante depuis 30 ans) augmentation des teneurs en polluants d’originel agricole. Certes, les chiffres sortis des éprouvettes sont loin d’être inquiétants. Les plus mauvaises analyses font état d’un maximum de 15 milligrammes/litre et de 0,065 microgramme de pesticides au cours de l’année 1993, valeurs qui sont très en dessous des valeurs limites définies par les directives « nitrates » (50 mg/l) et « pesticides » (0,5 µg/l) de l’Union européenne.
L’alerte est tout de même prise très au sérieux. Acquérir des terres supplémentaires dans le périmètre des zones de captage pour les boiser est une solution rapidement écartée compte tenu des tensions sur le foncier. La ville décide donc d’encourager l’agriculture biologique sur l’ensemble des terres agricoles situées en amont, dans la vallée du Mangfall. Encourager : le mot est d’évidence trop faible, puisqu’au fil des ans, la ville va intervenir très directement sur tous les maillons de la filière, de la production à la commercialisation, se faisant fort d’assurer des débouchés aux produits biologiques dans ses propres établissements : crèches, cantines, etc.
Dans un premier temps, la ville a délimité le périmètre de protection des captages, soit une zone de 6 000 hectares, dont 2 250 de terres agricoles « à convertir », le reste étant occupé par la forêt. Ce zonage effectué, la ville mobilise deux personnes pour suivre ce dossier et se rapproche d’associations de producteurs (Demetter, Bioland, Naturland) pour faire passer le message auprès des exploitants. Principal enseignement de cette phase de sensibilisation : la nécessité d’aider financièrement et techniquement les exploitants à passer le cap. La municipalité finance intégralement le premier conseil prodigué par les associations de producteurs bio aux candidats à la conversion, de même que les contrôles annuels. Les agriculteurs doivent pour leur part adhérer à l’association de leur choix. À ces subventions s’ajoute une aide municipale versée aux producteurs pour « honorer leur contribution à la protection de l’eau, compenser la diminution des rendements et les investissements ». Cette aide s’élevait à l’origine à 281 euros par hectare pendant les six premières années, dites de démarrage, puis à 230 euros par hectare les 12 années suivantes, que la terre soit en propriété ou en fermage. Ces aides municipales ne sont pas exclusives des aides versées par l’État (environ 152 euros par hectare et par an pendant cinq ans) dans le cadre de ses programmes agroenvironnementaux. Les agriculteurs qui ne veulent ou ne peuvent pas remplir le cahier des charges pour l’élevage (pâturage obligatoire, contraintes au niveau de la stabulation) mais qui remplissent tous les autres critères exigés reçoivent, au titre de « membres libres » de l’association, une aide de 137 euros par hectare et par an. Par ailleurs, les agriculteurs localisés en marge du périmètre bénéficient des aides sur l’intégralité de leur parcelle si au moins une partie de leurs terres est située dans le périmètre de protection.
Les associations d’agriculture biologique ont pour leur part fondé un groupe de travail, également activement soutenu par la ville, qui s’occupe de la transformation des produits biologiques par des entreprises spécialisées et de l’ouverture de débouchés dans les commerces.
La première année (1993), 23 exploitations contractualisent, pour une surface totale de 800 hectares. En 1999, ils sont 92 sur environ 2 200 hectares, dont 1 600 dans la zone de conversion proprement dite. Il reste à l’époque 15 agriculteurs qui ne se sont pas convertis – mais cela ne serait, paraît-il, qu’une question de temps… Cette conversion rapide a été favorisée par le fait que, dans cette région dominée par l’élevage, les surfaces sont essentiellement des prairies.
Pour la municipalité, le coût du programme de soutien à l’agriculture biologique – 0,83 million d’euros par an, soit 0,01 euro par mètre cube d’eau distribué – n’est pas excessif, dans la mesure où la ville évite ainsi de coûteux traitements. À titre de comparaison, le seul coût de la nitrification est estimé en France à 0,3 euro par mètre cube.
Reste que les Bavarois profitent encore très mal de cette ressource de qualité, puisqu’ils ont l’habitude de boire à table de l’eau gazeuse. Les services de l’eau incitent les Munichois à gazéifier eux-mêmes l’eau du robinet. Mais n’oublions pas que les Munichois sont aussi de grands buveurs de bière, et que pour produire un litre de bière, il faut 30 litres d’eau d’excellente qualité !
Post-scriptum (Olivier Petitjean, 2009)
Le cas de Munich est un bon exemple de stratégie de gouvernance reposant sur un cercle « vertueux », où toutes les parties prenantes sont gagnantes, reposant sur une bonne gestion des relations ville-campagne. Il n’est pas inutile de signaler que le service munichois de l’eau a dû être restructuré sous la pression des instances européennes (il a été autonomisé et « corporatisé » alors qu’il ne s’agissait auparavant que d’un département municipal) et subit encore aujourd’hui des pressions en vue d’une privatisation pure et simple.
Un autre exemple souvent mentionné du type de stratégie développé par Munich est la manière dont la ville de New York, confrontée à la pression de l’Agence américaine de protection de l’environnement, a choisi (après plusieurs années de tergiversations et de débats) de privilégier un programme de restauration environnementale de la région des montagnes Catskills, d’où elle tire 90 % de son eau. Ce programme comprenait plusieurs volets comme l’achat de terres, le renforcement des réseaux d’égouts et d’épuration dans la zone concernée, ainsi qu’une série de mesures incitatives à une gestion durable des ressources (à travers par exemple la mise en place de services de conseil gratuits), pour un coût total de 1,5 milliard de dollars US, financé à travers l’émission d’obligations environnementales. L’autre option aurait été la construction d’infrastructures de filtrage et d’épuration pour un coût estimé entre 6 et 8 milliards de dollars US. Ce projet a été marqué par une conflictualité bien plus grande entre autorités et habitants de la ville et de la campagne que cela ne semble avoir été le cas à Munich. Il est vrai que la différence d’échelle entre les deux projets est significative. D’autres villes, comme Paris ou Beijing, ont engagé ce type de démarches, sous diverses formes, mais aucune de manière aussi poussée qu’à Munich et dans une moindre mesure New York. (Voir, en français, Politique intégrée des eaux : de l’eau pure, cela se paye !)