Politiques du climat : n’oubliez pas l’eau !

, par  Jean-Claude Oliva
Longtemps, les conférences internationales sur le climat ont négligé la question de l’eau. Un oubli d’autant plus dommageable, selon Jean-Claude Oliva, qu’une politique de préservation de l’eau et de son cycle pourrait permettre de réduire nos émissions de gaz à effet de serre et de nous rendre plus résilients aux dérèglements climatiques. Tel est l’enseignement d’une rencontre internationale organisée à Dharwad, en Inde, fin 2016.

Le nouveau round des négociations climatiques internationales, la COP22, qui se tient à Marrakech au Maroc, un pays en état de stress hydrique permanent, a été la première à aborder enfin la question de l’eau. C’est que le changement climatique est directement lié à l’eau, tant par ses causes que par ses conséquences. Celles-ci sont bien connues : sécheresses, désertifications, inondations et autres catastrophes climatiques, qui sont toutes liées au surplus ou à l’absence d’eau. Concernant les causes, en revanche, la gestion des cycles de l’eau est rarement considérée comme un des facteurs du changement climatique, et pourtant : déforester, imperméabiliser les sols, surexploiter les nappes phréatiques pour des usages industriels ou énergétiques ou pratiquer l’agriculture intensive revient à assécher et appauvrir les sols et à perturber le cycle local de l’eau, sans compter les impacts sur les populations, en particulier autochtones. La préservation ou la restauration du cycle de l’eau sont des leviers pour agir sur le climat, à la portée des citoyens comme des collectivités locales.

Ces constats conduisent à essayer une nouvelle approche, centrée sur l’eau et l’agriculture. Ces deux secteurs sont les plus touchés par le changement climatique, mais ils pourraient aussi se trouver au cœur de la réponse à y apporter. Scientifiques, agriculteurs, pouvoirs publics et activistes d’une vingtaine de pays (dont les États-Unis, la Chine, l’Iran) se sont retrouvés du 24 au 26 octobre dernier, en Inde, à la Rencontre mondiale de l’eau (Global Water Meet 2016). Elle était organisée par l’université des Sciences de l’agriculture de Dharwad, à l’initiative de Rajendra Singh, « l’homme de l’eau » en Inde, qui a reçu le prix de Stockholm pour l’eau en 2015. L’hydrologue slovaque Michal Kravcik, président de l’ONG Peuple et Eau, et promoteur d’un « nouveau paradigme » fondé sur la restauration des cycles locaux de l’eau, a également participé à ces échanges. Il s’y est dessiné une convergence entre acteurs de l’eau et de l’agriculture écologique pour répondre ensemble au changement climatique. L’adaptation et l’atténuation du changement climatique ont pris un sens bien différent de ceux donnés dans les instances officielles ; elles ont soulevé beaucoup d’espoirs et se sont enrichies de contenus forts. Une ambitieuse plateforme a été adoptée, la déclaration de Dharwad, dont voici les grandes lignes.

Les négociations sur le changement climatique doivent donner la priorité aux peuples. Jusqu’à présent, le changement climatique est traité majoritairement comme un problème technique et « politique ». Les mesures relatives à l’adaptation et à l’atténuation doivent s’enraciner dans les besoins et les aspirations des populations locales, dans le respect de leur dignité et de leur droit au développement.

Premier axe, la sécurité hydrique : l’eau c’est le climat, le climat c’est l’eau. Sans eau, pas de vie : la déclaration de Dharwad appelle à des solutions décentralisées, gérées par les communautés, pour la préservation, la gestion et le renouvellement des masses d’eau tant souterraines que superficielles, et leur planification.

L’expérience menée depuis trente ans au Rajasthan par Rajendra Singh et son organisation Tarun Bharat Sangh est un formidable exemple de cette démarche. Sur une étendue de 10.000 km2, la construction de milliers de petits barrages en terre (johads) pour retenir l’eau des moussons et l’infiltrer dans le sol a permis de recharger les nappes phréatiques, de ressusciter des rivières disparues, de cultiver à nouveau et de faire revenir la population dans les villages. Cette expérience s’appuie tout à la fois sur la revalorisation des techniques traditionnelles, l’apport de l’expertise et de la recherche actuelles (ingénieurs, agronomes, hydrologues) et la mise en mouvement des populations concernées.

Au Maroc, les khettaras, connues sous le nom de qanat dans d’autres pays, constituent une technique durable et réversible pour obtenir de l’eau pour l’irrigation en région désertique. Un système qui mérite d’être redécouvert, préservé et développé pour faire face aux défis du changement climatique. Elles sont liées à toute une organisation de la société et du temps autour du partage de l’eau. Elles résultent d’un investissement important des populations, de génération en génération. Le peuple marocain peut être fier du patrimoine hydrique qu’il a créé et entretenu au fil des siècles. Les pouvoirs publics, marocains et internationaux, doivent en prendre la mesure, le protéger et le développer, comme une réponse exceptionnelle aux menaces que fait peser le dérèglement climatique.

Second axe, la soutenabilité de l’agriculture : L’agriculture est fondamentale pour assurer la sécurité alimentaire et une bonne nutrition. La déclaration de Dharwad recommande une agriculture écologique comme outil majeur de résilience au service de l’adaptation et de l’atténuation au changement climatique, fondé là encore sur la sagesse des communautés locales, les connaissances traditionnelles et les solutions issues du terrain. Une augmentation des investissements publics est appelée de façon urgente au niveau des politiques et des actions de terrain.

Troisième axe, la soutenabilité environnementale et écologique : le climat, l’eau, l’air, le sol, la végétation et toutes les ressources naturelles sont liés de façon essentielle à la vie sur Terre et forment un tout. En ce sens, le cycle de l’eau, sa préservation et sa restauration sont placés au cœur de la lutte contre le changement climatique.

La déclaration de Dharwad propose enfin la création d’un Forum mondial pour élaborer un plan d’action global de restauration des cycles naturels de l’eau et de résilience du climat, et pour porter plus loin l’esprit et le message de la rencontre mondiale de l’eau 2016.

Jean-Claude Oliva

Ce texte a été publié fin 2016, suite à la recontre de Dharwad, et publié sous forme de tribune sur le site Reporterre.

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Photo : Wikimedia Commons CC

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