Le New York Times vient de lancer une série d’articles de fond sur la pollution de l’eau aux États-Unis. Cette série, qui commence à faire grand bruit, s’appuie sur une grande enquête menée au niveau national sur les données de la pollution de l’eau et les suites données (ou, précisément, non données) aux infractions par les diverses agences concernées, en premier lieu l’EPA. La thématique est décidément sous les feux de l’actualité dans ce pays, où les études et les révélations se succèdent à ce sujet. Après des années de reculs et d’atermoiements sous l’administration Bush, les nouveaux responsables états-uniens ont annoncé une série de mesures et d’enquêtes qui laissent espérer un certain changement de perspectives (lire le texte Les autorités états-uniennes inventent une nouvelle manière de dépolluer l’eau : rendre les normes plus laxistes).
Cette série d’articles met l’accent non pas tant sur les nouvelles données scientifiques ou les pollutions émergentes, mais sur le système de contrôle et de régulation et ses défaillances.
La pièce centrale de cette série, “Clean Water Laws Are Neglected, at a Cost in Suffering”, est en effet un long article, paru dans l’édition dominical du journal, sur les défaillances et les impérities des régulateurs de la qualité de l’eau. Il est le fruit d’un travail de plusieurs mois au cours desquels les enquêteurs du New York Times ont collecté les données relatives aux infractions constatées dans le domaine de la pollution ou de la qualité des eaux, à la fois au niveau fédéral et dans les États (puisqu’il s’est avéré que les agences fédérales ne disposaient pas de données fiables). Il s’avère que seules 3% de ces infractions ont été suivies d’actions ou de poursuites. L’article s’attarde en particulier sur le cas de l’État de Virginie Occidentale et le problème de la pollution des eaux due aux exploitations de charbon de la région.
Toutes les données collectées au cours de ce travail ainsi que celles relatives aux "permis de polluer" en vigueur au niveau national ont été rendues publiques sur le site du journal.
On peut lire ou écouter un entretien avec le journaliste en charge de l’enquête sur le site de Democracy Now ! Sur la question des exploitations de charbon dans les Appalaches, utilisant la technique d’« élimination du sommet des montagnes » (mountaintop removal), et leurs conséquences dramatiques sur la qualité des eaux, on peut lire ces compléments sur le site Alternet (en français, voir http://www.lemonde.fr/ameriques/art...).
Cette publication a suscité de nombreuses réactions, aussi bien chez les lecteurs que chez les autorités concernées, qui ont annoncé de nouvelles mesures pour renforcer les contrôles et les poursuites, en particulier en ce qui concerne le "mountaintop removal" (voir l’article de The Nation à ce sujet).
Les articles de la série
Chaque article de la série traite d’un aspect de la pollution de l’eau, aussi bien du point de vue des sources que de la réglementation, en s’appuyant plus particulièrement sur l’exemple d’une région du pays.
Les articles les plus récents, en date du 7 et du 16 décembre 2009, portent tous les deux sur la contamination de l’eau du robinet proprement dite. Le premier porte sur les cas de violation du Safe Drinking Water Act constaté dans les réseaux de distribution d’eau et, surtout, dans les réseaux d’assainissement non collectif (un problème qui fait également l’actualité en France). Des composés chimiques illégaux auraient été retrouvés dans un système de traitement du pays sur cinq.
Le second explique que la législation états-unienne (à travers le Safe Drinking Water Act ne réglemente qu’une petite partie de toutes les substances chimiques utilisées dans l’industrie, et que même pour les substances réglementées, les teneurs prescrites semblent trop fortes par rapport aux risques sanitaires supposés. Pour les substances qui ne sont pas réglementées, l’EPA édicte des "guidelines", ce qui résulte dans des situations kafkaïennes où une eau peut être à la fois considérée comme contaminée (selon les guidelines) et bonne à boire (selon la législation "dure"). Un reportage photo est lié à l’article.
Un autre article de la série du New York Times, “Health Ills Abound as Farm Runoff Fouls Wells” porte sur les pollutions liées aux élevages animaux intensifs dans le Wisconsin et en particulier le problème des épandages de lisier. Il a lui aussi suscité de nombreuses réactions de lecteurs.
Une autre enquête (“Cleansing the Air at the Expense of Waterways”) aborde, à partir d’un cas situé en Pennsylvanie, la pollution de l’eau entraînée par les centrales électriques au charbon. L’article explique notamment que la mise en œuvre de nouvelles régulations sur la pollution de l’air a poussé de nombreuses centrales à installer des dispositifs qui ne faisait que reporter cette pollution vers les cours d’eau.
L’article en date du 23 novembre, porte sur la pollution liée aux décharges d’eaux usées pour cause de systèmes d’évacuation saturés par de fortes pluies. Lire sur ce site Le dossier interminable de la pollution de l’eau aux Etats-Unis.
Le premier des articles de la série, “Debating How Much Weed Killer Is Safe in Your Water Glass”, publié dans l’édition du 22 août 2009, portait quant à lui sur l’atrazine, un désherbant très largement utilisé. Des études récentes ont suggéré que les taux maximum fixés par l’Agence fédérale de l’environnement (EPA) étaient trop hauts et que l’atrazine pouvait se révéler toxique à très faible dose. Les responsables de l’EPA et Syngenta, le principal producteur de l’atrazine, assurent que les standards et mesures en place sont tout à fait suffisants pour protéger la santé des populations. Mais pour de nombreux observateurs, le cas de l’atrazine montre bien que c’est tout le système de prévention des risque et de contrôle de la qualité des eaux de l’EPA qui serait à revoir.
(Sur l’atrazine, lire aussi Danielle Ivory, « EPA Fails to Inform Public About Weed-Killer in Drinking Water », The Huffington Post Investigative Fund, http://huffpostfund.org/stories/epa..., ainsi que le rapport sur l’atrazine de l’ONG Natural Resources Defense Council.)
Tous les articles sont accompagnés d’images, de documents vidéos et de graphiques.
Une série qui s’inscrit dans une actualité plus large
Le lancement de cette série d’articles s’est effectué dans le contexte d’une actualité chargée.
Tout d’abord, une étude publiée par l’United States Geological Survey (USGS) a révélé toute l’extension de la contamination des cours d’eau par le mercure : dans 27 % des sites étudiés sur tout le territoire des États-Unis, les poissons présentaient des taux de contamination au mercure supérieurs aux standards fixés par l’EPA. Et encore, ces standards sont fixés par l’EPA sur la base de la quantité de poisson consommée en moyenne par les citoyens états-uniens. L’exposition au mercure est donc encore plus importante pour des populations qui consomment beaucoup de poisson comme celles qui habitent aux bords d’un lac ou d’une rivière, les populations indiennes ou encore les immigrés asiatiques, hawaïens ou caribéens. Les principaux responsables de la pollution au mercure sont les centrales électriques au charbon et les mines d’or.
Récemment aussi, une enquête de l’Associated Press faisait état de problèmes répandus de qualité de l’eau distribuée dans les écoles états-uniennes, notamment les écoles rurales disposant de leur propre système de pompage.
Par ailleurs, Lisa Jackson, nouvelle directrice de l’EPA, a récemment annoncé que son agence réouvrirait l’enquête sur la nocivité du perchlorate. Ce composé chimique, utilisé notamment dans les industries d’armement, est lié, via l’eau de boisson ou les cultures maraîchères comme la salade, à des affections thyroïdiennes ou à des retards mentaux chez les nouveaux-nés. Les efforts précédents pour en réguler l’usage et en interdire les rejets non contrôlés s’étaient heurtés à la puissance des lobbies industriels (voir le texte Les autorités états-uniennes inventent une nouvelle manière de dépolluer l’eau : rendre les normes plus laxistes).
L’EPA a également annoncé que dorénavant tous les pesticides seraient testés au regard de leurs effets potentiels sur le système endocrinien (de production d’hormones dans les organismes animaux).
L’EPA a aussi promis une mise à jour et un renforcement du contrôle de la pollution émanant des centrales électriques au charbon. Les règles en ce domaine dataient de 1982. Cette annonce est intervenue quelques jours seulement après que des organisations environnementales aient annoncé qu’elles allaient porter plainte contre l’EPA pour manquement à ses obligations dans ce domaine.
Enfin, dans la foulée des publications du New York Times, l’EPA a gelé les nouvelles autorisations d’exploitation de charbon utilisant la technique du mountaintop removal. Elle se préparerait même à revenir sur une autorisation qu’elle avait accordé en 2007 pour l’ouverture d’une nouvelle carrière, qui devait être la plus grande jamais exploitée, en Virginie Occidentale.
Par ailleurs, un procès opposant la ville de New York à l’entreprise pétrolière Exxon s’est ouvert au cours de l’été. La municipalité accuse l’entreprise d’avoir sciemment entraîné la pollution d’un de ses réservoirs par le MTBE (méthyltertiobutyléther), un additif pétrolier. Les premières étapes de la procédure semblent défavorables au groupe pétrolier. 70 autres agences de l’eau états-uniennes ont déposé des plaintes similaires contre Exxon, celle de New York étant la première à arriver devant les tribunaux. (Le 19 octobre 2009, Exxon a finalement été condamné à payer 105 millions de dollars US à la ville de New York.)
Autre type de pollution encore : le Los Angeles Times a révélé que les déchets radioactifs du site de Los Alamos s’inflitraient progressivement dans les aquifères du Nord de l’État du Nouveau-Mexique, et menaçaient de contaminer les eaux du Rio Grande. Quelques jours plus tard, le même journal publiait une enquête dévoilant une contamination similaire des nappes souterraines autour d’un site de test nucléaire dans le Nevada.