Fondée dans la foulée des protestations contre la multiplication des barrages, puis contre le plan hydraulique national annoncé par le gouvernement espagnol en 2000, la Fondation pour une nouvelle culture de l’eau mène et soutient des recherches et des actions de sensibilisation pour favoriser l’émergence de formes soutenables de gouvernance et de gestion de l’eau.
Afin de résoudre les problèmes liés à la sécheresse de son territoire, le gouvernement espagnol a lancé, au cours de la dernière décennie, un vaste programme de construction de barrages hydrauliques financé par l’Union européenne.
Ce plan a été justifié, en son temps, par les importants besoins en eau suscités par les secteurs de l’agriculture et du tourisme (3 000 kg d’eau par jour et par personne sur la côte Sud-est du pays). Mais la problématique de l’eau en Espagne est également soumise au lobbying et à la libéralisation du marché. Sa privatisation répond au principe d’éco-conditionnalité, qui stipule que l’argent public existe et que l’on peut y accéder, non parce que l’on y a droit, mais parce que l’on contracte avec l’État. Ainsi, subventionnées indirectement par l’Union européenne, par le biais de l’État espagnol, les entreprises privées vendent l’eau à 20 pesetas le m3 au lieu des 50 pesetas habituelles. La situation n’est pourtant pas idéale. Comme le rapporte le docteur Pedro Arrojo Agudo, professeur à la faculté de Sciences Economiques de Saragosse et membre de la Fondation pour une nouvelle culture de l’eau, la construction des premiers grands barrages a donné lieu à de nombreuses inondations subséquentes au bétonnage intensif et à la destruction du lit naturel de certaines rivières.
Dès 1995, une forte mobilisation sociale (manifestation de 400 000 personnes à Saragosse) s’est organisée pour devenir un vaste mouvement rassemblant des universitaires - le mouvement académique - et la population - le mouvement social. Inquiet des conséquences de la construction de trop nombreux barrages, ce rassemblement pacifiste souhaite susciter un changement dans les modes d’action et les mentalités.
Pour cela, le mouvement académique a organisé deux congrès en 1998 et 2000, qui ont permis à 500 universitaires de créer un nouveau consensus pour une politique de l’eau axée vers le développement durable.
En 2002, l’Espagne préside l’Union européenne pour six mois. Et Pedro Arrojo y voit une réelle chance de gagner la bataille contre le gouvernement en portant plainte devant la Commission européenne et en jouant sur l’échange de faveurs intergouvernementales. La pression d’autres gouvernements sur la Commission permettrait le blocage des fonds européens destinés au programme de barrages. Déjà, en effet, des directives cadres européennes préconisent une nouvelle approche du problème de l’eau, mais l’Espagne ne les respecte pas et se dépêche d’achever ses ouvrages. C’est ainsi qu’à ce jour, certains barrages sont légaux mais il est illégal de les remplir !
En 2001, la Fondation pour une nouvelle culture de l’eau a reçu une existence juridique, ce qui lui permet dorénavant de mandater une personne juridique pour organiser congrès et actions. Avec un tel statut et une telle organisation, la Fondation met toutes les chances de son côté pour relever le défi de l’eau et du développement durable.
Commentaire
L’eau est au coeur de la problématique du développement durable. S’il est vital, l’accès à l’eau ne doit pas être synonyme de destruction de l’environnement. Les barrages hydrauliques sont trop souvent responsables de l’inondation de vallées entières, donc de la destruction des paysages, de la faune, de la flore, des constructions, et du déplacement de populations. Le cas de l’Espagne n’est sans doute pas unique. Par une sensibilisation au développement durable, ce sont les communautés elles-mêmes qui, peu à peu, vont apprendre à défendre au mieux leurs propres intérêts.
SOURCE
– Entretien avec le docteur Pedro ARROJO AGUDO. Pedro ARROJO, Departemento de Analysis Económica, Facultad de Ciencias Económicas y Empresariales, Gran Via 2, 50005 Zaragoza, España - Tel 976 76 18 21 - parrajo AT posta.unizar.es. Fiche réalisée lors de la rencontre internationale « Dialogues pour la Terre », à Lyon, du 21 au 23 février 2002.
Post-scriptum (Olivier Petitjean, 2009)
Les activités de la Fondation pour une nouvelle culture de l’eau ont continué de se développer depuis le début des années 2000 et couvrent l’ensemble de la péninsule ibérique. Elle organise toujours un Congrès ibérique sur l’eau, tous les deux ans, après les expériences réussies de 1998 et 2000. Elle continue à suivre de près les dossiers qui ont présidé à sa naissance, à savoir le Plan hydrologique national et en particulier la gestion des eaux de l’Èbre, ou encore la question de l’approvisionnement de la Catalogne et des autres régions touristique ou agricoles du Sud. Elle mène des activités de recherche et d’expertise, de formation, de centre de documentation, et décerne tous les ans un Prix de la nouvelle culture de l’eau. Voir le site internet de la Fondation à l’adresse http://www.unizar.es/fnca/, ainsi qu’une traduction française de son manifeste fondateur à l’adresse http://www.rivernet.org/Iberian/man....