Quelle régulation pour le service de l’eau ?

Un examen détaillé de l’évolution actuelle de la gouvernance locale de l’eau en France, à partir d’études de cas, met en lumière des tendances complexes : transformation des cadres de régulation liée à la montée de la préoccupation environnementale, renforcement des capacités locales, débat sur l’efficacité relative du public et du privé.

Même si l’heure est à la redéfinition du service public, dans les pays du Nord comme du Sud, cette étude s’enracine volontairement dans une réalité française, avec l’analyse de trois entités chargées du service de l’eau en Ille-et-Vilaine ; analyse plus facile à appréhender, notamment pour des raisons matérielles, mais aussi d’ordre culturel. Pour autant, les constats et résultats obtenus à partir de ces trois cas permettent de tirer quelques enseignements afin de renouveler le débat autour de la notion de services publics dans les villes du Sud, dont les problématiques de la gestion de l’eau et de l’environnement sont finalement fortement corrélées à celles des pays du Nord.

Au-delà des schémas théoriques, la démarche sociologique proposée par Isabelle de Boismenu s’intéresse aux jeux effectifs d’acteurs et au "système d’action concret". Elle porte l’analyse sur les articulations entre États, collectivités territoriales, entreprises privées et usagers, dans l’objectif d’assurer un service équitable, à des coûts et à des prix raisonnables. La comparaison des trois cas soulève des enjeux locaux spécifiques, mais elle permet de faire émerger les similitudes de contexte dans lesquels évoluent les acteurs, comme celles des contraintes et des stratégies d’intervention et de négociation.

L’étude met en évidence la profonde évolution du cadre institutionnel des services de l’eau qui nécessite aujourd’hui une meilleure prise en compte de la dimension environnementale. Puis elle s’attarde à l’examen de la conjonction des facteurs déterminant la constitution des réseaux d’eau, et permet ainsi de comprendre dans chacun des cas la stratégie de chacun des acteurs, gestionnaires ou usagers, et la nécessité de l’émergence d’un rééquilibrage des forces avec la montée en puissance des associations de consommateurs. La capacité de ces associations à maîtriser les questions techniques et économiques favorisent un débat de fond avec les entreprises. Comme les services techniques départementaux proches des compagnies de services ne peuvent plus jouer réellement leur rôle d’appui aux élus ou aux usagers, les collectivités locales prennent le relais et jouent le rôle de "bloc gestionnaire" au côté des entreprises privées. Le fonctionnement de ces CCE devient alors un indicateur privilégié de la logique du système et un facteur important de la mise en débat de l’information. Ces CCE se mobilisent autour de l’accès à une information complète et transparente sur la façon dont est construit le prix.

L’impact de taille de la collectivité sur le prix de l’eau constitue un des enseignements de l’étude qui tend à prouver que le coût des services d’approvisionnement en eau et assainissement est essentiellement déterminé par les investissements et la répartition des charges. La viabilité et l’amortissement seraient fonction de la taille de la collectivité, et auraient un effet direct sur la répartition des charges fixes et donc sur le prix de l’eau. L’étude a permis de mesurer l’acuité des débats entre gestionnaires et usagers par rapport à l’opacité du mode de répartition des charges, et de percevoir l’enjeu et la difficulté à établir des systèmes tarifaires transparents.

Les villes du Sud sont de ce point de vue dans une situation aussi difficile puisqu’elles sont, pour la plupart, jeunes et connaissent des taux de croissance sans commune mesure avec ceux des villes européennes. Leur fort taux de croissance et le manque d’investissements en équipements handicapent fortement le déploiement des services urbains, notamment ceux d’approvisionnement en eau potable et d’assainissement. Leur mode d’extension horizontale et leur faible densité entraînent également une moindre productivité des ces services.

Ces éléments permettent de mesurer l’effort colossal et les répercussions sociales que représente le recouvrement intégral des coûts par la facturation aux usagers, condition souvent demandée par les bailleurs de fonds comme la Banque mondiale. Ils montrent aussi le peu de pouvoir de ces usagers, qui se présentent dans le système comme un ensemble relativement éclaté. L’étude met en évidence la nécessité de mobiliser les contributions des habitants comme une des conditions de la réalisation des infrastructures. En France, l’implication des usagers dans les instances de concertation correspond à un renouvellement des modes de gestion particulièrement net dans les domaines touchant à l’environnement mais aussi dans la régulation des services publics locaux. Cette implication permet aux usagers de contrôler les opérateurs et aussi de mieux comprendre leur logique de fonctionnement. Au Sud, un même mouvement est perceptible sous la pression des acteurs de la société civile, mais aussi des bailleurs de fonds. Cependant il existent des limites à ce type de participation : la difficulté des associations à se constituer en acteur cohérent ; à fonctionner en tant que tel, à définir des positions cohérentes par rapport aux problèmes posés, et surtout à appréhender de manière intégrée les questions locales et l’aménagement du territoire.

L’étude permet aussi de relever d’autres difficultés qui tiennent à la constitution même des instances consultatives, qui malgré le dynamisme des acteurs de la société civile et la volonté des institutions locales, peuvent rester des cadres formels, dont la productivité reste faible dans la régulation réelle des systèmes locaux.

En matière d’efficacité économique, l’étude a mis en lumière que le transfert de la gestion des services aux sociétés privées ne garantit pas une amélioration de l’efficience du système. La contribution des compagnies privées se retrouve essentiellement au niveau de la mutualisation des moyens techniques et humains, dont peuvent profiter les collectives locales. Elle met en évidence la question de l’échelle pertinente de péréquation des systèmes d’approvisionnement en eau et la problématique des petites structures, notamment en Afrique. Elle montre aussi que la qualité des contrats et leur suivi jouent une place prépondérante dans les enjeux économiques. Ces constats permettent, enfin, de moduler l’idée d’une suprématie du privé et de la concurrence et surtout d’en pointer les limites en termes de maîtrise des systèmes.

La question se pose moins en termes de transfert de charges au privé, comme cela est souvent présenté, mais au contraire en termes de redéploiement des compétences, de manière à parvenir à un équilibrage des forces entre le prestataire privé et le commanditaire public.

Pour conclure, le renforcement des logiques en place facilitent la mise en débat, et la modification des systèmes vers de nouvelles instances grâce à la prise en compte des enseignements issus de leur fonctionnement, permettant une évolution possible des modalités de régulation dans un système intégré.

SOURCE
 DE BOISMENU, Isabelle, Gret, Direction scientifique, Gret, 2000/02 (France), Document de travail n°13, 41 pages

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