Les habitants des montagnes du Yémen possèdent une tradition millénaire de maîtrise de l’eau pour l’irrigation, à travers un système de terrasses qui redistribuent l’eau de pluie. Pour remédier à la lente érosion de ces terrasses, des experts de l’ONU ont mis en place un processus de concertation entre les paysans en vue de développer des méthodes simples de restauration.
L’auteur décrit comment les habitants des montagnes du Yémen apprennent à contrôler l’eau de pluie.
Les montagnes du Yémen culminent à 3 300 m et il y pleut suffisamment, chose rare sur la péninsule arabique, pour permettre des cultures grâce à l’irrigation. Mais la pluie est drue et violente et l’eau doit être contrôlée, faute de quoi elle est perdue. Les Yéménites ont des réseaux élaborés de terrasses qui distribuent correctement les précipitations et conservent le sol. Mais ces terrasses sont fragiles et, si l’une s’écroule, c’est comme un jeu de dominos.
Ce phénomène est aujourd’hui à l’œuvre de manière graduelle, presque imperceptible. Les photographies prises il y a vingt ans le prouvent : les montagnes jadis couvertes de végétation sont aujourd’hui nues et les terrasses sont au fond des ravins. Les paysans le notent, bien entendu. Ils peuvent même calculer les pertes encourues. Mais leurs villages sont éloignés et l’aide va au rendement le plus rapide : aux plaines où l’eau du sous-sol est accessible pour l’irrigation. Le Yémen est auto-suffisant en fruits et légumes. Mais cela ne bénéficie qu’à 10 % des paysans et menace l’approvisionnement des villes en eau.
Grâce au PNUD, les choses sont en train de changer dans le bassin du Wadi Zabid, de façon inhabituelle. L’aide de trois millions de dollars US n’est pas versée au gouvernement central, mais aux structures sociales traditionnelles. De plus, les experts ne viennent pas avec des solutions toutes faites, ils sont là pour examiner les problèmes et les priorités que les villageois eux-mêmes ont identifiés. On a ainsi découvert que ces derniers étaient parfaitement au courant des causes des problèmes mais n’en avaient jamais discuté COLLECTIVEMENT avant l’arrivée des gens de l’extérieur.
La déforestation des flancs de montagnes escarpées (pour les besoins du bétail et pour les besoins ménagers) a amené la disparition de la végétation qui n’était plus ombragée. Personne n’est particulièrement à blâmer : les vieilles règles concernant la coupe sont tombées en désuétude, notamment à cause de l’absentéisme des propriétaires. D’où l’effondrement des terrasses trop chères à réparer (en temps de travail). Les dons en céréales ont fait s’effondrer le prix du sorgho. L’économie de l’agriculture des montagnes avait changé d’autant que l’émigration vers les États pétroliers jouait à plein. De plus, l’école ne prépare pas à la vie au village et le système foncier – partage de la récolte avec le propriétaire – n’était guère encourageant.
Le projet implique toute la communauté, femmes et enfants compris, pour replanter et réparer les terrasses avec des moyens simples et bon marché (Roottrainer, petite feuille de plastique moulé qui peut former une rangée de plants que l’on peut démarrer chez soi où à l’école). Mais les projets simples attirent rarement les grandes banques. Pour faire connaître que cette technique marche, un caméraman yéménite a fait un film vidéo qui circule dans les villages et a été montré à la télévision.. Depuis, les villages réclament des semences pour suivre l’exemple du voisin, vu à la télévision !
Commentaire
Cette expérience a réussi grâce au travail intelligent d’experts yéménites et anglais (Arid Lands Initiatives) qui sont allés à l’écoute des gens et ont réussi à éviter les bureaucraties lentes et parfois stérilisantes. Jouer sur l’émulation entre villages au moyen de la vidéo et leur rappeler que leur pays a su maîtriser dans le passé l’hydraulique a été d’un grand secours : le barrage de Ma’rib qui a servi le Yémen pendant mille ans avant de s’effondrer au VIe siècle est fameux dans la littérature et la mémoire collective arabes. Mais l’essentiel, à mon avis, est l’écoute et l’implication de toute la communauté à laquelle incombe le soin de définir les priorités. Bel exemple de synergie heureuse entre « experts » et communautés villageoises qui mérite d’être connu .
SOURCE
– « Getting Dug into Sheba’s Terraces », par Brian Whitaker paru dans The Guardian, 25 janvier 1992, p. 14.
Post-scriptum (Olivier Petitjean, 2009)
Malheureusement, la dégradation du système des terrasses se poursuit. Un nouveau projet de réhabilitation a été annoncé début 2008 par les Nations-Unies (Fonds international pour le développement agricole/IFAD) dans le cadre de la politique d’adaptation au changement climatique. Le Yémen est en effet particulièrement menacé par les pénuries d’eau en raison de la croissance explosive de ses villes - avant tout la capitale Sanaa, mais aussi Aden - et de la surexploitation des aquifères pour l’agriculture.