Techniques traditionnelles de l’eau dans le Maghreb : foggaras et meskats

, par  Larbi Bouguerra

Dans le milieu difficile – voire hostile – du Maghreb s’est développé un savoir-faire admirable pour parvenir à nourrir la population et surtout pour gérer des ressources en eau aléatoires et une pluviométrie erratique.

Le savoir-faire hydraulique du Maghreb a bénéficié de trois apports importants. Il s’agit de l’apport romain d’abord, puis arabe (à partir du VIIe siècle et de l’islamisation du Maghreb), puis enfin de l’arrivée des juifs et des musulmans expulsés d’Espagne andalouse à partir de 1492. Il suffit d’observer les aménagements et structures hydrauliques actuels pour s’en convaincre. L’oasis de Gabès, par exemple, abrite les vestiges d’un ancien barrage en pierre de l’époque romaine, qui est toujours utilisé. À Gafsa, on se baigne encore aujourd’hui dans les bassins romains. Les installations hydrauliques de Timgad, en Algérie, ont été mises à profit, de même que les ouvrages importants laissés par les Romains à Volubilis (près de Meknès) au Maroc, qui ont été très souvent utilisés.

Les populations du Maghreb ont exploité toutes les possibilités techniques qui s’offraient pour obtenir de l’eau. Les foggaras (appelés kattara ou goutte-à-goutte au Maroc) sont des galeries de la taille d’un homme, creusées sous la surface du désert. La pente est de l’ordre de 3 à 5 % maximum. Les foggaras servent de conduite d’écoulement de l’eau entre la nappe phréatique (ou une petite source) et une oasis. Le grand avantage du système est l’imperméabilité des galeries, qui empêche l’eau de s’évaporer et la protège de toute souillure. Une fois la construction achevée, il faut absolument l’entretenir en empêchant les sédiments d’obstruer les galeries.

Les villes situées en altitude ont ainsi pu stocker des quantités d’eau importantes dans ces citernes. Une source minuscule au départ a pu alimenter une ville comme Marrakech dès sa fondation en 1062. Sans les foggaras, Marrakech n’existerait pas. Certaines d’entre elles, datant du XIIe siècle, sont encore en usage aujourd’hui. Fès a également remis en service les structures anciennes héritées de l’époque romaine. De même, dans certains villages du Nord-ouest de la Tunisie, des procédés anciens de récupération de l’eau ont été remis au goût du jour. L’eau ainsi récupérée est traitée lorsqu’elle est destinée à la boisson. Pour l’irrigation des champs en revanche, aucun traitement n’est nécessaire.

Parmi les autres techniques utilisées pour faire face à la pénurie d’eau, les meskats sont des installations très simples composées d’un impluvium (un terrain situé en hauteur, destiné à recueillir l’eau de pluie), puis d’un ensemble de petits barrages qui servent à éviter que l’eau ne dévale la pente et lui permettre de s’infiltrer dans le sol, pour parvenir jusqu’aux cultures qui en ont besoin. Cette technique est également qualifiée d’irrigation dirigée.

Historiquement, le système des foggaras reposait sur un mode de gestion de l’eau extrêmement codifié puisque l’eau appartenait à des propriétaires qui la redistribuaient dans différentes palmeraies. En Tunisie, l’hydrologue Echchabat (XIIe siècle) recourait pratiquement aux logarithmes pour effectuer la distribution de l’eau dans les oasis. Dans le cas des foggaras, la question de la propriété de l’eau variait d’une région à l’autre, mais le principe restait le même. Dans certaines régions, comme l’Atlas marocain, on observait une dissociation entre la propriété du sol et celle de l’eau : on pouvait ainsi hériter d’une terre sans sa part d’eau, tout comme on pouvait hériter d’une part d’eau sans la terre ; on pouvait aussi louer son eau mais non sa terre, etc.

Les techniques de foggaras et de meskat dépendent, bien évidemment, du milieu et de la pluviométrie. Elles sont simples mais demandent une main d’œuvre importante et solidaire, une gestion commune.

Commentaire

Tous ces aménagements dans un environnement que l’on pourrait qualifier d’hostile montrent que les gens qui ont construit les meskat, les jsours (petits barrages de pierre), les kattaras et autres, avaient envie de survivre dans leur région et de rester dans leur territoire. Les autorités coloniales n’y ont vu que des méthodes rudimentaires et non civilisées. Leur solution, c’était le béton : des barrages et des ponts. Pourtant, le premier barrage construit par les Français en Algérie, en 1906, a été emporté par les eaux 20 ans plus tard. De leur côté, les techniques d’inondation contrôlée ne présentent aucun inconvénient de ce type : soit elles retiennent la pluie pour la distribuer aux cultures, soit elles sont submergées, ce qui n’a aucune conséquence dommageable. Les pierres peuvent facilement être remises en place. Pour autant, les élites qui ont pris le pouvoir après l’indépendance sont restées marquées par la technologie colonialiste et son mépris pour les techniques traditionnelles, dont il fallait se débarrasser, selon eux, comme d’un signe de sous-développement, pour construire du moderne. Avec pour résultat, entre autres, une forte immigration, notamment du Sud tunisien, due à l’impossibilité de survivre par l’agriculture. Une partie de l’agriculture du pays a été rejetée, et sa population avec (voir le texte La petite hydraulique dans le Sud-Est de la Tunisie).

Pourtant, ces techniques anciennes respectent la nature : à l’opposé de la société de consommation, on peut parler d’une « société de subsistance », qui ne prélève de la nature que le strict nécessaire.

Malheureusement, 80 % des foggaras de Marrakech sont hors d’usage en raison de la baisse de la nappe phréatique, mais aussi de l’urbanisation et du développement du tourisme. Ce patrimoine architectural se dessèche et tend à tomber en ruine. De même, en Tunisie, un certain nombre d’aqueducs sont utilisés comme poubelles. Leur remise en état pourrait se faire de manière assez simple, et plusieurs archéologues ont suggéré de restaurer ces ouvrages. Malheureusement, la participation des citoyens, indispensable à la mise en œuvre de ce genre de solutions, n’est pas une démarche usitée dans le Maghreb actuel. On note toutefois des progrès significatifs, puisque 12 kilomètres de foggara ont récemment été remis en état à Marrakech, et que dans l’oasis marocain de Jorf (dans le Tafilalet), la remise en état des kattaras a permis une véritable renaissance de l’écosystème. De même, en Tunisie, un aqueduc de l’époque romaine a récemment été remis en usage.

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