De nombreuses unités de traitement des eaux usées utilisent des bactéries (microorganismes) pour dégrader les substances organiques présentes dans ce type d’effluents. Lorsque, pour traiter une quelconque infection, on avale des antibiotiques, la plupart du temps, ces médicaments finissent dans les eaux usées, excrétées par les voies naturelles. Comme les spécialistes n’arrêtent pas de mettre en évidence la présence de ces antibiotiques dans les effluents des hôpitaux et des ménages, leur inquiétude grandit car ils pensent que leur présence est de nature à promouvoir la résistance à ce type de médicaments. Lors d’un récent meeting (27-31 mars 2011) de la Société américaine de chimie (ACS) à Anaheim en Californie, des chercheurs ont affirmé que les eaux usées contiennent d’autres éléments chimiques en mesure, eux aussi, de promouvoir la résistance aux antibiotiques. Il s’agit des métaux lourds.
Les spécialistes de l’environnement avaient, par le passé, observé, une relation entre les métaux et la résistance aux antibiotiques dans les sols contaminés par les métaux, ainsi que dans les eaux douces. Les bactéries prospérant dans ce type de milieux ont des niveaux de résistance passablement plus élevés que leurs congénères vivant dans des sols non contaminés. Les chercheurs de l’Université du Kansas aux États-Unis et ceux de l’Université de Newcastle en Angleterre se sont demandés au cours du meeting d’Anaheim si ce phénomène pouvait s’observer dans les unités de traitement d’eaux usées. Ces usines constituent en effet des environnements uniques où, à côté des antibiotiques, la présence des éléments métalliques comme le zinc et le cuivre est courante. Ici aussi, les bactéries jouent un rôle dans la chaîne de traitements. C’est ainsi qu’après avoir débarrassé les eaux usées des solides qu’elles peuvent charrier, les unités de traitement des eaux usées ajoutent des boues contenant une vaste gamme de bactéries qui vont digérer et dégrader les composés organiques dissous.
Les chercheurs états-uniens ont simulé ce process connu sous le nom de « boues activées » pour déterminer si les métaux sont en mesure de répandre la résistance aux antibiotiques. À cette fin, ils ont construit des réacteurs contenant un mélange de molécules organiques et d’autres nutriments couramment rencontrés dans les eaux usées ainsi que des bactéries en provenance d’échantillons prélevés dans une unité de traitement d’eaux usées voisine. Après avoir permis à la culture bactérienne de croître, les chercheurs ont réalisé sur ces réacteurs trois phases expérimentales. Dans la première de ces phases, ils ont suivi le niveau de résistance aux antibiotiques dans les boues d’activation. Ils ont ensuite ajouté des métaux, du zinc ou du cuivre, à certains de leurs réacteurs et ils en ont étudié les variations de la résistance aux antibiotiques. La troisième phase a consisté à ajouter dans chaque réacteur un antibiotique sur une liste de trois de ces médicaments.
Ils ont ainsi découvert que le cuivre seul, en absence d’antibiotiques, est en mesure de promouvoir la résistance vis-à-vis de la ciprofloxacine, un produit Bayer (Ciflox en France ou Uniflox) de manière sensible, passant la ligne de fond de 7% à 11%. Le zinc seul n’a pas d’effets, mais en présence d’un certain nombre d’antibiotiques, il est en mesure d’augmenter les niveaux de résistance. Dans les réacteurs recevant le zinc et la tétracycline, 63% des bactéries acquièrent de la résistance alors que dans les réacteurs qui ne reçoivent que la tétracycline et pas de zinc, la résistance est seulement de 44%. Il est donc clair que, dans une usine de traitement d’eaux usées, si les métaux contribuent à répandre la résistance, ils sont une source de résistance bien plus importante que les antibiotiques eux-mêmes, car ces derniers étant des composés organiques finissent par se dégrader alors que les métaux résistent à toute dégradation .
Commentaire
Il est d’abord clair que le mot d’ordre couramment répété en France « Les antibiotiques, ce n’est pas automatique » est tout à fait pertinent et doit être respecté à la lettre, car la plus grande partie de ces médicament aboutit à l’usine de traitement d’eaux usées, l’organisme (humain ou animal) n’utilisant qu’une faible fraction des doses ingérées. De plus, avec l’augmentation du nombre de personnes âgées dans les pays développés, la concentration de ces produits dans l’eau va aller croissant car cette fraction de la population métabolise moins les médicaments que les personnes plus jeunes.
Sur un autre plan, il est tout aussi clair que les eaux usées provenant des unités industrielles contiennent des concentrations bien plus importantes de métaux que celles provenant des ménages, même si dans les villes, les tramways, les métros, la friction des pneus de voiture, les vieilles canalisations en plomb… contribuent à la contamination des eaux pluviales ou de nettoyage par les métaux.
Pour réduire le risque de résistance aux antibiotiques, à côté de la nécessaire éducation de la population – et des professionnels de santé - à ce danger, il faudrait éviter de mélanger eaux usées des ménages et eaux usées industrielles. En Californie, des efforts sont faits pour traiter à la source les effluents industriels contenant du chrome VI, un métal cancérigène provenant notamment des industries métallurgiques. Ce métal se trouve en grandes quantités dans les eaux usées des tanneries, en Tunisie, au Maroc et ailleurs, et constitue une grave menace pour l’eau potable des populations. Pour réaliser cette séparation des eaux industrielles et ménagères, il faut repenser les réseaux de canalisation aboutissant aux unités de traitement. Ce qui a un coût, bien évidemment.
On voit ainsi les innombrables menaces que la pollution multiforme issue de nos modes de vie et de consommation fait peser sur cet élément vital qu’est l’eau et les bien inquiétantes synergies qui peuvent s’accomplir dans les eaux du fait d’une multiplicité des facteurs : bactéries, métaux lourds, médicaments, composition des sols….
SOURCE
– Michael Torrice, « Spreading resistance during wastewater treatment », Chemical & Engineering News, 28 mars 2011.
– Jyllian N. Kemsley, « Testing and treating for chromium », Chemical & Engineering News, 4 avril 2011
– Mohamed Salah Medimagh, « Le chrome dans les tanneries en Tunisie », Thèse de doctorat, Faculté des Sciences de Tunis, 1992.