Le Brésil n’a pas été épargné, récemment, par les problèmes d’eau. Menaces de pénurie dans les grands centres urbains du Sud-est, sécheresse récurrente ailleurs, inondations meurtrières, conflits autour de grands barrages, problèmes de pollution agricole et industrielle... Cândido Grzybowski, sociologue et directeur de l’ONG Ibase, souligne que l’eau résume à elle seule les principaux éléments de la "crise de développement" que connaît actuellement le Brésil et, au-delà, le monde moderne. Et invite ses concitoyens à remettre la gestion et la protection de l’eau comme bien commun au centre du débat public et de l’action citoyenne.
Article original en portugais, traduit par Fernanda Grégoire et relu par JL Pelletier.
L’eau mérite bien sa journée mondiale sur le calendrier, le 22 mars. Cette reconnaissance n’a eu lieu qu’en 1993, après le Sommet de la Terre de Rio, mais au fond, nous devrions glorifier l’eau tous les jours, toute la journée. Mais nous n’y pensons que lorsqu’il n’y en a plus, ou qu’il y en a trop. Ceux qui vivent dans des territoires arides ou semi-arides organisent leur vie en fonction de l’eau, à cause de son insuffisance. C’est le cas au Brésil dans la grande région du Nordeste, où vit 30% de la population et où l’on trouve à peine 3% de l’eau du pays. Les sécheresses du Nordeste sont séculaires, tout comme notre incapacité à gérer le problème. Cependant, dans cette région semi-aride, il pleut plus qu’en Algérie, par exemple. Alors, pourquoi notre peuple souffre-t-il tant, alors qu’il a davantage d’eau ?
Des étangs, des lacs de barrage et des puits ont été construits au fil du temps pour stocker l’eau, mais de nombreux investissements ont fini par être privatisés et intégrés au cours des siècles dans le patrimoine de grands propriétaires terriens. Mais il faut reconnaître que ces dernières années s’est développée dans le Nordeste rural une expérience de construction participative très prometteuse en matière de gestion de l’eau : la Coordination da la région semi-aride du Nordeste (Articulação do Semiárido Nordestino) : une expérience de construction communautaire de citernes familiales pour collecter l’eau de pluie ; elles sont déjà plus de 500 000.
Rien de tel qu’un été torride et sec, comme celui de 2014, pour que nous pensions à cette bénédiction qu’est l’eau. Cela est particulièrement évident à São Paulo et à Rio de Janeiro, les deux plus grandes métropoles du Brésil. Pour des millions de personnes, les robinets et les douches ont soudain manqué d’eau. Les informations et les images alarmantes de réservoirs vides, sans parler des menaces de rationnement à São Paulo, ont fait peur. La sécheresse signifie aussi que les réservoirs hydroélectriques sont proches de leurs limites inférieures et que l’éventualité d’une panne de courant n’est pas éloignée. Ainsi, l’eau montre qu’elle a dans nos vies plus d’importance que nous ne le pensions.
Mais pourtant nous l’oublions.
Nous voyons au même moment les images d’énormes inondations dans la région amazonienne, à la frontière de la Bolivie. Quel bonheur si toute cette eau était mieux distribuée. Nous oublions cependant qu’il y a quelques mois, en décembre 2013, des inondations ont eu lieu aussi dans la région Sud-est. La partie basse de la zone métropolitaine de Rio a été dévastée par deux crues torrentielles avant Noël. Le pire est arrivé dans l’État d’Espírito Santo, qui s’est presque transformé en mer. Et maintenant, voilà la sécheresse. S’agit-il de catastrophes ? Ou le problème est-il que nous ne savons pas quoi faire avec l’eau ?
L’eau et la vie
Il n’y a pas de vie sans eau. Et l’eau que l’on gère mal peut signifier la mort. C’est aussi simple et tragique que cela ! L’eau occupe une place centrale dans le cycle de la vie et dans l’ensemble des systèmes environnementaux qui régulent la vie, le climat, et l’intégrité même de la planète Terre.
L’eau est si présente dans notre quotidien que nous n’y pensons que lorsqu’elle nous manque. C’est comme l’air que nous respirons : il ne peut pas nous manquer. Mais que de négligences avec l’eau ! Nous attendons qu’elle coule, vienne à nous et passe, c’est tout. Nous oublions que sans elle, il n’y a pas de vie, aucune vie. Dans notre mode de vie, surtout dans les grandes métropoles, nous vivons au quotidien sans penser à l’eau, comme si elle n’était pas vitale, alors qu’elle devrait être au centre même de l’organisation sociale urbaine.
En tant que ressource naturelle, l’eau constitue un stock d’une taille déterminée : 97,5% de l’eau est dans les mers, et seule une toute petite partie de l’eau douce restante est disponible pour la consommation, puisque la plupart est gelée et stockée dans les hauteurs des montagnes ou dans l’Antarctique. Pourtant, cette eau douce serait encore suffisante si nous ne l’utilisions pas de façon prédatrice. Elle se maintient et se renouvelle dans un cycle environnemental défini : depuis les aquifères, elle coule à travers les sources, les ruisseaux, les rivières et se jette dans la mer, puis s’évapore, forme des nuages, il pleut, elle irrigue la terre et alimente les aquifères, et le cycle recommence. Tel est, de manière schématique, le fonctionnement d’un des systèmes les plus essentiels et, en même temps, les plus menacés de notre planète aujourd’hui, au coeur des changements climatiques. L’eau est un système environnemental complexe, qui affecte d’autres systèmes fondamentaux et qui est affecté par eux en retour : atmosphère et climat, biodiversité et forêts, océans et évaporation. L’eau douce si essentielle, mais en quantité limitée, a besoin de se renouveler au cours de son cycle naturel.
Les changements provoqués par l’activité humaine agressent l’environnement et interagissent avec l’eau, mettant en péril la vie, toute la vie : les changements climatiques, l’acidification des océans, les émissions d’aérosols et le trou dans la couche d’ozone, l’utilisation des terres, la perte de biodiversité, la composition chimique de l’environnement (pollution). Aujourd’hui, l’humanité est une force qui affecte le fonctionnement de l’ensemble des systèmes environnementaux vitaux, en dépassant les limites de ce qui serait tolérable pour qu’ils continuent à bien fonctionner, sans entraîner de changements imprévisibles et irréversibles.
Pour prendre l’exemple de l’eau, nous devons réfléchir à la façon dont nous façonnons notre habitat humain et les territoires dans lesquels nous nous organisons en tant que société. L’eau constitue peut-être l’exemple le plus emblématique des distorsions que nous introduisons. Le cycle de l’eau au sein des bassins hydrographiques qui la drainent est un système complexe. Dans toute la planète, l’eau constitue le centre naturel territoires. Cependant, au long de l’histoire, nous avons eu tendance à diviser les bassins en fonction de nos frontières humaines, au lieu d’en faire des systèmes naturels intégrateurs. Combien de rivières dans le monde sont devenues des frontières entre pays ! Pire encore, à l’intérieur même des États, beaucoup de rivières et de bassins sont devenus des frontières naturelles entre divisions territoriales, y compris pour les plus petites unités administratives, comme les communes.
Enfin, l’exemple de l’eau, rend visible les tragédies que l’action humaine peut provoquer. Nous sommes face à une rupture insoutenable entre humanité et nature, et cela dans le domaine de la religion, de la philosophie, de l’économie, dans l’organisation sociale et dans l’ensemble des pratiques que nous avons mises en place pour survivre. Nous refusons notre propre condition d’élément constitutif de la nature et nous nous considérons au-dessus d’elle, faits pour la dominer, pour violer ses secrets, comme le dit Bacon. Nous agressons la nature sans éthique, en lui refusant le droit d’être ce qu’elle est. Le désastre est à nos portes. Notre mode de vie devient insoutenable et constitue la cause de la rupture entre nature et êtres humains. L’eau en est l’exemple le plus palpable.
La crise mondiale de l’eau
Nous vivons déjà une crise mondiale de l’eau, mais nous faisons semblant que non. L’humanité est la principale cause de changement du cycle de l’eau douce, qui rend possible la vie sur la planète Terre. Aujourd’hui, on estime que 80% des rivières dans le monde sont en danger et 25% d’entre elles s’assèchent avant de se jeter en mer. À quoi s’ajoute le fait que nous avons déjà dépassé les limites naturelles de l’acidification des océans . On ne rappelle jamais assez la tragédie du Jourdain, au centre de la guerre territoriale entre la Palestine et Israël, qui arrive sec en Méditerranée à cause de l’utilisation intensive de ses eaux pour l’irrigation par les Israéliens. L’ancienne Union soviétique, à cause de l’utilisation intensive de l’eau pour l’agriculture, a asséché un lac immense en Asie Centrale.
D’après Maude Barlow, du Conseil des Canadiens, chaque jour nous rejetons dans nos eaux, à travers les égouts et les résidus industriels et agricoles, l’équivalent du poids de toute la population humaine (2 millions de tonnes). L’industrie minière laisse chaque année sur les territoires du monde, tel un poison, l’équivalent de près de 800 trillions de litres d’eaux usées toxiques. On estime qu’un tiers de tout le débit de l’eau est utilisé aujourd’hui pour la production agro-énergétique : une quantité d’eau suffisante pour satisfaire les besoins en eau potable de l’ensemble de la population mondiale. C’est pour ça que l’eau constitue aujourd’hui l’une des plus grandes menaces écologiques pour l’humanité. L’eau contaminée tue plus d’enfants chaque jour que le virus du sida, la malaria et les guerres réunis.
Il n’y a pas pénurie d’eau. C’est nous qui créons sa rareté par la manière dont nous l’utilisons. A cause de cette rareté artificielle, l’eau s’est transformée en objet de commerce global. Pourquoi ? À quelle fin ? Rien n’est plus emblématique de l’absurdité du commerce de l’eau que le tragique accident survenu dans le grand tunnel du Mont-Blanc entre l’Italie et la France, il y a quelques années. L’accident a été provoqué par deux camions… chargés d’eau, l’un qui allait de l’Italie vers la France et l’autre de la France vers l’Italie !
Nous sommes face à un risque éminent : que l’eau devienne une marchandise, qu’elle se transforme en produit commercialisable, qui s’achète au prix imposé par celui qui l’exploite. D’ailleurs, c’est précisément ce qui est proposé sous le nom pompeux d’« économie verte », qui étend le domaine du capitalisme et des marchés à toute la nature et à ses prétendus « services ». C’est le droit même de vivre qui est en jeu. Imposer des taxes pour que l’eau du robinet coule à la maison, alors qu’il s’agit d’un droit fondamental, est déjà discutable en soi. Mais devoir la payer à un monopole privé, c’est être soumis à une violation absurde d’un droit fondamental.
La raréfaction artificielle et la marchandisation de l’eau bouleversent la vie humaine et la nature : la diversité des cultures humaines, la biodiversité naturelle, les aliments, la sécurité écologique et le fonctionnement des systèmes naturels, à savoir la séquestration du carbone de l’atmosphère, la résilience des systèmes aquatiques et terrestres, jusqu’à la régulation du climat. L’eau, dans un certain sens, résume à elle seule la crise du développement que nous vivons, qui produit en même temps luxe et déchets, le tout au nom de l’accumulation de richesses.
Les luttes pour l’eau
En cette fin d’été et début d’automne 2014, parmi toutes les questions qui alimentent nos inquiétudes au quotidien, a surgi la question de l’utilisation des eaux du Rio Paraíba do Sul. Sa source est dans l’État de São Paulo. Il se dirige vers le Nord-est, traversant tout l’État de Rio de Janeiro, dont il est le cours d’eau principal. Ses eaux sont l’objet une polémique au niveau fédéral. En manque d’eau et menacé aujourd’hui de « stress hydrique » , São Paulo veut relier le bassin du Paraíba do Sul au système Cantareira qui ravitaille l’agglomération de São Paulo (ndtr : le système Cantareira est un ensemble de six grands barrages - hors du bassin du Rio Paraiba do Sul - reliés entre eux et utilisés pour alimenter l’agglomération de São Paulo). Sans rentrer dans les détails techniques, cela fait planer la menace d’une guerre interne à la fédération brésilienne. Pourquoi ? Nous n’avons pas mis en place une culture de gestion des eaux comme bien commun.
L’eau est déjà au centre d’importants conflits sociaux dans le monde. La liste est longue. Il suffit d’en rappeler quelques-uns. En plus du conflit autour du Jourdain entre la Palestine et Israël, il faut rappeler ici la question du Tibet, occupé militairement par la Chine à cause précisément de l’eau, car les deux plus grands fleuves chinois sont alimentés naturellement par le dégel des montagnes de l’Himalaya. En 2000, suite à la tentative de privatisation de l’approvisionnement en eau à Cochabamba en Bolivie, une guerre populaire a explosé , ce qui a obligé le gouvernement à revenir sur sa décision. En Inde, un grand mouvement s’est développé contre Coca-Cola, à cause du contrôle croissant exercé par cette multinationale de la boisson sur des sources naturelles d’eau douce, dans un pays où l’eau n’est pas vraiment ce qui abonde le plus. Il faut rappeler que Coca-Cola utilisait 3 litres d’eau douce pour produire 1 litre de soda. À Mumbai, en Inde, en 2004, pendant le Forum social mondial, la commercialisation de Coca-Cola a été interdite dans l’espace où se tenait l’événement. Cela a peut-être poussé l’entreprise à adopter des pratiques un tout petit peu plus responsables, car en 2009, selon les déclarations de l’entreprise elle-même , elle ne consommait plus que 2,04 litres d’eau pour chaque litre de son produit phare.
Mais il n’y a pas que pour sa consommation immédiate que l’eau fait l’objet de convoitises. Elle constitue des systèmes complexes, souvent agressés sous prétexte de développement. En ce moment, il est possible de le voir au travers des problèmes qui entourent la construction des centrales hydroélectriques de Jirau et de Santo Antonio, sur le Rio Madeira, et de Belo Monte, sur le Rio Xingu (ndtr : deux affluents de l’Amazone). L’utilisation de l’eau pour générer de l’énergie électrique est une forme d’extractivisme agressive du point de vue social et environnemental, même si c’est considéré comme de l’énergie propre dans les statistiques du pays. La construction des barrages hydroélectriques nuit forcément à la rivière et à ce qu’elle représente pour la population locale, qui voit dans sa rivière agressée le fondement même de son territoire et de son mode de vie. Dans le bassin du Rio Xingu vivent d’importants peuples indigènes, dont les droits relatifs à leurs territoires sont officiellement reconnus par notre constitution démocratique.
Il est intéressant de rappeler ici le cas d’Itaipu, centrale hydroélectrique construite par la dictature brésilienne dans les années 1970. Le Rio Paraná, à Itaipu, forme la frontière entre le Paraguay et le Brésil. Pour l’utiliser à des fins de production d’énergie, il a été nécessaire de mettre en place un accord qui répartit par moitié l’énergie produite entre les deux pays. Mais qu’est-il advenu de la population qui a été inondée ? Il y avait des milliers de petits producteurs agricoles familiaux du côté brésilien. Ils ont été expulsés de la zone par force, et les indemnités proposées ne suffisaient pas à leur garantir de retrouver des conditions de vie similaires ailleurs. C’est alors que surgit le mouvement des personnes atteintes par les barrages (Movimento dos atingidos por barragens, MAB), et vu qu’il y avait parmi elles des familles sans-terres, le mouvement des sans-terres (Mouvement des Travailleurs Ruraux Sans Terre, ou MST) y trouve l’une de ses sources. Mais personne n’a jamais pensé aux Indiens Guaranis, occupants ancestraux de tout le territoire. Ce n’est que plus tard, beaucoup plus tard, qu’on a étudié la question et que des territoires spécifiques ont été cédés aux Guaranis. Mais ce qui est intéressant, c’est de voir comment la problématique de l’eau de la rivière a changé au cours du temps. Les usines hydroélectriques dépendent de l’eau comme n’importe quel être vivant. L’ouest du Paranà est une des zones du Brésil où l’agriculture et l’élevage sont les plus intenses. De sorte que l’ensablement du réservoir d’Itaipu avance à une vitesse effrayante.
C’est à l’initiative du consortium d’Itaipu lui-même que, depuis 2003, se développe un programme exemplaire : "Cultivando Agua Boa" ("prendre soin de l’eau pour la maintenir abondante et de bonne qualité"), qui a des répercussions positives sur le mode de vie des communes brésiliennes concernées. L’eau, hier agressée et utilisée comme un simple ressource, fait aujourd’hui l’objet d’un grand soin dans les petits bassins versants des rivières, qui alimentent le réservoir. Cela va jusqu’à la production d’aliment biologiques pour les écoles de la région.
Enfin, il y a aussi des conflits sociaux parce que l’eau est en quelque sorte menacée en sa qualité de bien commun central pour toute vie. Son appropriation pour un usage privé, pour sa commercialisation directe ou sous forme de minerais, d’énergie ou d’intrants pour la production agricole et industrielle, fait qu’elle se raréfie, ce qui entraîne des conflits. En fait, aujourd’hui, tous les conflits autour de l’eau concernent des situations spécifiques se rapportant à des conditions données, soit naturelles, soit créées par l’action humaine passée et les modes de vie actuels. L’eau peut être considérée soit comme une simple ressource naturelle - c’est la vision des entreprises et souvent celle des gouvernements -, soit comme un bien essentiel à la vie de ceux qui en dépendent. Pour faire simple, il y a conflit entre ces deux visions diamétralement opposées
L’eau, un bien commun
Il est essentiel ici de mettre en évidence que l’eau est un bien commun fondamental à la vie, à toute la vie. Les biens communs, ou plus simplement les communs, sont une partie intrinsèque de l’intégrité des conditions de vie de tous. La planète Terre, l’atmosphère (l’air et le climat), l’espace sidéral (orbites géostationnaires) et le spectre des ondes électromagnétiques (pour les fréquences de communication), la biodiversité, les terres fertiles, les montagnes, les océans, les rivières, les eaux… sont des biens communs. Des biens qui existent en quantité finie. La langue et la culture, la connaissance, l’information, Internet... sont également des biens communs, des biens qui se multiplient et s’enrichissent par l’usage humain qui en est fait. La ville en tant qu’ensemble collectif est un bien commun qui abrite en son sein des propriétés privées, des maisons, des appartements, des espaces commerciaux et de service, des industries. Aucun bien n’est commun par soi-même ; il le devient de par les relations sociales auxquelles il sert de support.
Ce qui fait qu’un bien est commun, c’est qu’il est indispensable de le partager et qu’il est nécessaire d’en prendre soin. La perception du besoin de partager et de la nécessité de prendre soin de certains biens entraîne les groupes humains à s’organiser et à les traiter comme des biens communs. C’est pour ça que socialement, on a créé des biens communs. Remettre en commun ce qui a été privatisé est au centre de nombreuses indignations et insurrections dans le monde aujourd’hui. Le cas de l’eau est un des plus évidents et visibles. Le droit à l’eau n’est véritablement garantie que lorsqu’elle est traitée comme un bien commun. Lors de la première édition du Forum social mondial, en 2001 à Porto Alegre, un réseau mondial de défense du droit à l’eau comme bien commun a commencé à prendre forme. C‘est un des plus importants réseau citoyen dans le monde. Dans la lutte contre la privatisation et pour le retour à la gestion de l’eau comme bien commun, il est important de rappeler ici les cas de Berlin et de Paris, où aujourd’hui l’approvisionnement en eau est à nouveau géré par les municipalités, sous le contrôle des citoyens.
Être un bien commun signifier relever d’un droit collectif. Ce n’est pas une question de propriété. Un bien commun n’est pas « à personne », mais à tout le monde. Le fait d’être public, au sens d’étatique, ne garantit pas d’être à tout le monde. L’air est commun parce qu’il est à tous, mais il est difficile d’imaginer qu’il puisse être public et, plus encore, privé. La rue est commune parce qu’elle est publique, elle est à tous, mais il existe de nombreux cas de privatisation de rues, avec portails et gardes armés. L’accès à l’eau est un droit collectif parce que l’eau est un bien commun, mais celle-ci peut être privatisée dans la mesure où elle peut être stockée. Il n’est pas automatique que la gestion publique de l’eau la traite comme un bien commun, mais préserver une tutelle publique change la nature du conflit pour le droit collectif à l’eau.
Le privé est ce qui est contrôlé de façon privée, en fonction d’intérêts particuliers. Ce qui est public, contrôlé ou non par l’État, doit répondre aux intérêts collectifs de toutes et tous. Mais pour ça, cela doit obligatoirement être considéré et traité comme un bien commun, sur lequel tous les membres de la collectivité ont un droit égal. Il n’y a que la citoyenneté active qui peut garantir le caractère commun d’un bien. L’eau pourrait être bien plus qu’une source de tragédie du fait de son manque ou de son excès. Il est temps de l’instituer publiquement comme bien commun. N’oublions pas que nous, les Brésiliens, sommes gestionnaires de 12% de l’eau douce dans le monde !
Pour conclure
Toute mon analyse sur l’eau se fonde sur le fait que nous devons la considérer comme un bien commun vital. Nous devons la remettre à l’ordre du jour du débat public, au centre de l’action citoyenne. Nous ne réussirons pas à faire face à nos problèmes de justice sociale et environnementale sans libérer l’eau de son emprisonnement comme ressource pour la production ou comme marchandise rare par des puissances privées agressives. Mais nous ne parviendrons pas non plus à progresser sans lutter pour que l’État garantisse le caractère commun de l’eau, comme un bien à partager entre tous, sans discriminations ni exclusions.
Cândido Grzybowski
Cet article est une adaptation et une actualisation d’une intervention de l’auteur lors du Séminaire “Sustentabilidade – Múltiplos Olhares : Água e Saneamento & Resíduos Sólidos”, organisé par le Muusée Ciência e Vida, Fondation CECIERJ, Duque de Caxias.