Cet article, publié initialement en anglais, a été traduit par Justine Visconti.
L’eau est une ressource unique, le fondement de la vie. Elle est tellement indispensable qu’il est difficile de traiter ce sujet de manière distante et détachée, surtout lorsque l’eau devient rare, un facteur limitant, comme c’est le cas en ce XXIe siècle. Elle n’est plus considérée comme une ressource « donnée », gratuite, comme l’air ou les paysages. Elle est devenue un objet de contrôle, une marchandise qui peut être privatisée, achetée et vendue. Le problème ne réside pas seulement dans l’inégalité d’accès à cette ressource, mais également dans sa contamination, sa pollution et le mauvais usage qu’il en est fait. Cependant, tous ces problèmes peuvent être résolus grâce à l’action humaine.
Comprendre comment un groupe ou une société partage ses sources d’eau est fondamental afin de mettre en place une gestion efficace. Cette étude de cas décrit l’expérience de gestion des ressources en eau du Semiarido Mineiro, une région semi-aride située dans le Nord-est de l’État du Minas Gerais, au Brésil. L’absence de cadre légal réglementant l’utilisation de l’eau, la consommation illégale et les projets de modernisation de l’agriculture en ont fait de l’eau un défi omniprésent dans la région.
La vallée du Jequitinhonha, qui tire son nom de la rivière qui la traverse, a toujours été considérée comme un territoire archaïque, caractérisé par une forte émigration et des problèmes environnementaux, parmi lesquels de longues périodes de sécheresse dues à l’irrégularité des précipitations (Ribeiro 2007). La vallée supérieure du Jequitinhonha se compose de grotas et de chapadas. Les premières sont de petites vallées humides où l’on peut trouver des sources d’eau. Des familles y vivent, qui font pousser du maïs, des haricots, des fruits et élèvent des cochons et des poules. Les grotas alternent avec de vastes plateaux plats dont la terre n’est pas très fertile. Ces zones sont considérées comme communes à toutes les familles, utilisées pour les pâturages et le ramassage du bois. Dans les années 1970, un projet de développement fédéral proposa d’y développer la culture à grande échelle d’eucalyptus. Cette monoculture a entraîné deux problèmes majeurs : l’intensification de l’exploitation des grotas ainsi que la déforestation de la végétation typique des chapadas, qui sont aussi les zones de recharge des nappes phréatiques. En dépit de cette situation dans laquelle les chapadas sont « privatisées » par de grandes entreprises agricoles et utilisées pour les eucalyptus, les familles paysannes ont adapté et réorganisé leur propre système de production : elles ont réduit leurs zones de culture, intensifié l’utilisation familiale des terres des grotas et accentué les migrations saisonnières afin de trouver du travail.
Ces familles rurales se sont aperçues qu’avec le temps, la quantité d’eau dans les sources a diminué. Selon elles, la cause du problème est la déforestation de la végétation caractéristique de la région et son remplacement par des eucalyptus. Cette situation les a forcé à utiliser toujours plus l’eau des ruisseaux et des rivières, qu’elles qualifient de « plus lourde et plus épaisse », car moins propre que celle des sources. Ces eaux sont définies comme publiques puisqu’elles sont utilisées pour les animaux et les cultures, alors que les quelques eaux de source « pures » sont formellement sous le contrôle des familles et utilisées pour la consommation humaine. Les eucalyptus n’étaient pas le seul problème contribuant à la détérioration de la qualité des sources d’eau. Également en cause, les pratiques agricoles telles que le brûlis, ainsi que la présence d’animaux dans les zones où se trouvent les sources.
Malgré leurs différences environnementales, historiques et culturelles, les communautés rurales des vallées des rivières Jequitinhonha et Saõ Francisco considèrent l’eau comme un don : elle vient de la terre sans aucune intervention humaine. Puisqu’il s’agit d’une ressource naturelle et d’un don pour les humains, elle devrait être utilisée par tous : être humains, animaux et plantes. Pour cette raison, son accès ne devrait être refusé à personne. Un don commun à tout le monde ne peut être possédé par une seule personne. Les familles des communautés peuvent utiliser l’eau qui se trouve sur leur terre, mais elles ne peuvent pas en être le propriétaire absolu, ni s’approprier un bien qui n’est pas produit par le travail. Quiconque, dans la communauté, enfreint ces règles orales risque d’en être exclu – une sanction très redoutée dans les civilisations qui reposent sur l’échange.
La gestion de l’eau dans ces communautés rurales est basée sur quatre principes :
– L’eau est un don de la nature et un héritage commun ;
– L’eau doit être utilisée de manière éthique et gérée conjointement ;
– Les règles sont nécessaires afin de régir les formes d’accès, d’utilisation ainsi que les quantités de consommation ;
– Des formes structurées de contrôle sont nécessaires aux différentes échelles : la famille, la communauté, les différentes communautés et, enfin, le public.
L’accès à l’eau et son utilisation sont réglementés par les relations morales au sein des familles, mais également entre ces dernières et la nature. Les biens fournis par la nature ne peuvent pas être possédés de manière privée et encore moins transformés en marchandises. Le droit à l’eau dans ce cadre moral se compose de droits historiques, sociaux et territoriaux : les habitants d’un territoire où l’eau provient d’une source y ont un droit, mais non-exclusif. Le droit à l’eau est lié à un équilibrage du pouvoir afin d’éviter les inégalités ; les lois coutumières tentent de maintenir un niveau minimum de partage et de mutualité.
La rareté de ce bien si précieux a amené les familles à tenter de résoudre les problèmes liés à l’eau en instaurant des règles d’utilisation commune. Le CAV (Centre d’agriculture Alternative Vicente Nica), une ONG brésilienne active dans la vallée du Jequitinhonha, dans le cadre d’un partenariat avec l’université fédérale de Minas Gerais, s’est intéressé au problème et à la situation des familles des communautés. Elle leur a offert des formations ainsi qu’un soutien continu, a organisé des rencontres dans les communautés sur le sujet de la préservation des sources et a proposé des essais pilotes de végétalisation des zones entourant les sources. Les eucalyptus ont continué à détériorer l’écologie. Les études entreprises par l’université ont permis de découvrir que les communautés avaient leurs propres méthodes de classification de l’eau, confirmant l’importance pour elles des sources pour l’accès à une eau de bonne qualité.
La méthode de travail est participative : des représentants des communautés, grâce au soutien du CAV, ont analysé et évalué les sources qui pouvaient être protégées. Si les familles sont intéressées, des comités sont formés pour visiter les lieux et identifier les sources qui peuvent être clôturées. Les familles elles-mêmes s’en occupent et prennent part à des réunions afin de sensibiliser leurs pairs à l’environnement. Au final, chaque communauté désigne deux personnes qui la représentent au sein du groupe Familias protetoras de nascentes (les familles qui protègent les sources). Ces personnes sont responsables de la gestion et de l’évaluation de l’état des sources de la communauté, en participant aux réunions de formations organisées par le CAV et en communiquant sur ce sujet avec leurs voisins.
Le cas de la municipalité de Veredinha est exemplaire. Les habitants ont pris la responsabilité de clôturer les sources. Le CAV a coordonné leurs initiatives, tandis que le CeVI (Centre international du service volontaire, Centro di Volontariato Internazionale), d’Italie, a fourni le matériel, et que la municipalité elle-même a prêté des véhicules afin de l’acheminer. À travers ces actions, les sources deviennent un bien commun et l’opinion publique, les représentants de l’État et les organismes environnementaux sont tous encouragés à nouer de futurs partenariats.
Ainsi, la préservation des sources a suscité, bien que sous une forme limitée, des accords communautaires, dans lesquels les intérêts communs prévalent sur ceux des familles, l’eau étant considérée comme un bien commun : un bien qui peut être utilisé, mais qui doit également être géré dans l’intérêt des générations futures.
Au Brésil, la gestion communautaire risque d’être subordonnée à la vision de plus en plus hégémonique de l’eau comme bien commercial. Dans cette vision, quel rôle politique et culturel restera à la communauté, et quels seront ses droits légaux à la gestion de l’eau et pour empêcher sa commercialisation ?
Les consommateurs d’eau industriels et agroalimentaires sont intéressés à la gestion de grandes rivières et de grands lacs. Ces derniers, cependant, sont alimentés par les sources, elles-mêmes gérées par les communautés. Ainsi, des procédures de gestion qui ne sont en apparence pas liées entre elles occasionnent, en fait, des conflits de contrôle liés au contrôle de l’eau. La manière dont les petits plans d’eau tels que les sources communautaires sont gérés est donc réellement importante pour la santé des grands bassins versants dans lesquels elles s’inscrivent. Si la gestion des sources par les communautés n’est pas soutenue, elle entraînera une mauvaise gestion des bassins à plus grande échelle et, inévitablement, des conflits entre usagers.
Les familles et les communautés rurales ont été forcées à prendre en charge les coûts de préservation de l’eau en réduisant leur utilisation de la terre, des forêts, des ressources et en cherchant du travail en dehors des bassins versants. Elles se sont adaptées à une situation causée par un plan de développement gouvernemental mal conçu. Leur travail de restauration de l’écosystème repose sur leur expérience de collaboration, améliorera leurs moyens de subsistance et renforcera leurs communautés. Mais pas seulement. Il restaure un bien commun, l’eau commune, et, en tant que tel, il représente un service public au bénéfice de tous.