Une lutte qui s’inscrit dans la dynamique du processus de réforme constitutionnelle
En février 1999, le président Hugo Chávez Frías entra en fonction au Venezuela. Entre mars et avril de la même année, il nomma l’équipe qui devait se charger du secteur de l’eau. En mai, cette équipe responsable du secteur du service d’approvisionnement en eau potable et de l’assainissement organisa une rencontre avec un groupe varié de militants sociaux aguerris, venus de nombreux horizons : syndicalistes, étudiants, environnementalistes, membres de coopératives, universitaires, membres d’associations de riverains ou de groupes culturels. L’objectif de cette rencontre était à tracer les grandes lignes de ce qui allait être connu, à partir du 1er juin 1999, comme le système de gestion communal d’Hidrocapital, la compagnie d’approvisionnement en eau de la capitale, Caracas.
Lors de cette réunion, l’expérience des « tables techniques de l’eau », qui avaient eu lieu sous le mandat d’Aristóbulo Istúriz (1993-1996) dans la ville de Caracas, notamment dans les paroisses de Antímano et d’El Valle, fut minutieusement analysé. Certains aspects de cette expérience furent systématisés, ce qui permit de formuler lors de cette réunion une proposition d’organisation pour résoudre les problèmes de l’eau potable et de l’assainissement.
Ce chapitre se propose ainsi d’étudier où en est la mise en œuvre de cette proposition dans l’ensemble du pays, cinq ans après sa formulation.
Une proposition organisationnelle centrée sur les communautés
Les problèmes liés au service d’eau potable et d’assainissement ne se restreignaient pas à des problèmes de carence du service, mais également le caractère chaotique du systèmesd’adduction d’eau, lié à l’absence de planification urbaine dans les villes vénézuéliennes, en particulier à Caracas et dans les autres villes de la région capitale, zone couverte par Hidrocapital.
La proposition d’organiser des « tables techniques de l’eau » (Mesas Técnicas de Agua) et des « conseils communautaires de l’eau » (Consejos Comunitarios del Agua) fut d’emblée conçue comme un moyen pour réintégrer la participation citoyenne.
Avant que les premières réunions aient lieu, la seule chose qui « unissait » les communautés et l’entreprise publique d’eau et d’assainissement (en l’occurrence, Hidrocapital) étaient les manifestations populaires de protestation, paralysant les rues et les avenues et occupant les bureaux, dénonçant l’incapacité d’Hidrocapital à fournir de l’eau potable. (Il ne faut pas oublier que la Gestion communale d’Hidrocapital démarra au milieu de l’été 1999, après la sécheresse historique de 1998 liée au phénomène El Niño.) Les premières réunions permirent de reconnaître qu’il n’existait pas d’autre option que l’organisation communautaire pour résoudre les graves problèmes qui se posaient dans de si nombreux endroits.
Les tables techniques de l’eau étaient un moyen de coordonner tout le savoir de la communauté concernant son réseau d’eau avec les ressources humaines, techniques et financières qui lui appartenait par la biais de l’entreprise publique de l’eau. Il fut estimé que ce système était nécessaire pour mobiliser les compétences requises pour résoudre les problèmes ; cette proposition impliquait un profond changement.
En cassant le schéma paternaliste de l’État qui prend la place des citoyens plutôt que de les soutenir, les tables techniques de l’eau furent en pratique la réponse « citoyenne » adressée à la compagnie d’eau sur la façon dont celle-ci devrait gérer n’importe quel problème. Trois tâches devaient être réalisées :
a) Le recensement – qui ne doit pas être considéré comme un simple exercice comptable, mais comme une véritable radiographie de la communauté, incluant tous les points de référence nécessaires pour acquérir une vision exacte de la situation.
b) Le plan – un croquis, réalisé par la communauté elle-même, sur la façon dont s’organisent les services dans leur zone. Ce travail entraîne toujours un processus de récupération de la mémoire collective concernant le processus d’installation du réseau existant. Ce qui permet à tout un chacun de comprendre les problèmes qui dérivent de la croissance de la population du quartier, et la façon dont on a essayé de les résoudre. Cette étape contribue donc de façon essentielle à la conception d’une solution au problème d’approvisionnement en eau ou d’assainissement. Dans un autre ordre d’idées, le plan est également très utile à l’entreprise pour mieux connaître les réseaux d’eau construits par la communauté elles-mêmes.
c) Le diagnostic – cette étape recouvre tout simplement le traitement de toute l’information réunie pour pouvoir établir un diagnostic du problème et formuler un projet en termes de travaux, de réparation et d’entretien.
Les communautés qui se sont organisées à travers des tables techniques de l’eau, les représentants de l’entreprise d’eau et les élus locaux (maires, conseillers municipaux, conseils de paroisse) forment le conseil communautaire de l’eau.
Les conseils communautaires de l’eau sont des lieux où se croisent différents flux d’informations : depuis les différentes communautés vers l’entreprise de l’eau et les autorités paroissiales et municipales ; depuis l’entreprise et les autorités paroissiales et municipales vers les tables techniques de l’eau ; et entre les différentes tables techniques de l’eau. Cet échange d’informations permet de renforcer progressivement les capacités des communautés.
Le conseil communautaire de l’eau a deux caractéristiques fondamentales : il est public et il se réunit régulièrement. Cela signifie qu’il est ouvert à tou-te-s les citoyennes et citoyens sans exclusion, et qu’il se réunit à intervalles réguliers dans un lieu connu de tous.
Le conseil a trois fonctions essentielles :
a) Il fixe les priorités en fonction des besoins formulés. Selon les ressources disponibles, il établit un plan de travail selon les critères de priorité déterminés collectivement.
b) Il organise les programmes de travaux. L’entreprise et les communautés prennent des engagements ; un planning est établi pour les travailleurs, et des ressources sont allouées à chaque tâche.
c) Il effectue un suivi. La tâche essentielle du conseil communautaire de l’eau est d’exercer un contrôle social sur l’entreprise publique. D’où les mêmes questions posées au début de chaque réunion : Qu’avions-nous convenu de faire ? Qu’est-ce que nous avons fait ? Qu’est-ce que nous n’avons pas fait, et pourquoi ? Et ainsi de suite.
Cinq ans plus tard
Plus de cinq années sont passées. Le modèle organisationnel des tables techniques et des conseils communautaires de l’eau est suivi par presque toutes les entreprises publiques d’eau du pays. Les filiales d’Hidroven, la maison-mère, tout comme les entreprises qui dépendent des gouvernements régionaux, ont des manières différentes d’intégrer la participation des communautés.
Les entreprises publiques de l’eau ont subi une inévitable transformation au contact de leurs véritables propriétaires, les citoyens. Les communautés qui, il y a cinq ans, ébauchaient leurs premiers croquis pour décrire leur réalité, qui étaient mobilisées parce que l’eau ne parvenait pas à leurs robinets, savent aujourd’hui formuler leurs problèmes en rapport à la situation hydrologique de toute la région alentour.
Les eaux usées sont également à l’ordre du jour aujourd’hui, et l’assainissement est reconnu comme un secteur en besoin d’une profonde rénovation des infrastructures afin de prévenir les catastrophes et les tragédies. En outre, les investissements réalisés dans les infrastructures de quartiers à forte densité de population ont énormément augmenté.
Les informations auxquelles ont maintenant accès les communautés à propos de la situation des entreprises publiques de l’eau, des infrastructures et des sources d’eau desquelles elles dépendent, ont permis de créer une vision collective des problèmes futurs.
Un processus d’organisation de différentes parties des services d’eau et d’assainissement en coopératives a également eu lieu. Les coopératives de travailleurs sont en augmentation dans le secteur de l’eau, correspondant à un processus d’élimination des intermédiaires entre les personnes qui effectuent le travail et l’entreprise qui a pour mission de planifier, inspecter et superviser ce travail. De nombreux signes suggèrent aussi que les communautés organisées exercent un contrôle croissant sur leurs services de base. Elles assument à travers tout le pays des tâches comme le captage, la potabilisation, l’acheminement et l’évacuation de l’eau grâce à divers systèmes d’adductions.
Certains exemples sont particulièrement représentatifs.
a) À Caracas (région de la capitale), le système d’adduction d’eau géré par le Conseil communautaire de l’eau de la paroisse Antímano fonctionne de manière cyclique, ce qui veut dire qu’il ne peut pas approvisionner tout le monde en même temps. Au cours des cinq dernières années, le Conseil a exercé un contrôle du cycle d’approvisionnement de la paroisse et a essayé différentes alternatives pour l’améliorer. La façon dont la communauté se sert du conseil comme outil de contrôle sur le service de l’eau est remarquable.
b) Le Conseil communautaire de la municipalité de Páez, dans l’État de Zulia, couvre une zone principalement peuplée d’indigènes de l’ethnie Wayúu. Son réseau, qui s’approvisionne à la rivière Guasare, et en achemine l’eau par le biais de deux importants systèmes d’adduction jusqu’aux habitants de l’ensemble de la municipalité, fonctionnait bien en dessous de sa capacité en raison de travaux de réhabilitation qui n’avaient pas été menés à bout. Après la création du Conseil communautaire de l’eau de la municipalité de Páez, des inspections communautaires permirent de constater l’absence de travaux sur le réseau. La population se mobilisa et obtint non seulement l’accroissement de la capacité du réseau, mais permit aussi aux salariés qui avaient toujours fait fonctionner le réseau hydraulique de s’organiser en coopérative.
c) Le Conseil Communautaire du réseau hydraulique Clavellino, dans l’État de Sucre, s’est attaqué aux graves problèmes de gestion qui prévalaient. Ce réseau achemine de l’eau depuis le Nord du massif oriental du Venezuela jusqu’à la péninsule d’Araya et la ville de Carúpano, dans l’État de Sucre, et, par le moyen d’une canalisation sous-marine, jusqu’aux îles de Coche et de Margarita, dans l’État de Nueva Esparta. Le Conseil communautaire œuvre pour trouver un consensus entre les positions des différentes populations desservies par ce réseau et trouver une solution aux nombreux et variés problèmes qui se posent.
À titre de conclusion
Il ne serait pas très sérieux de prétendre que l’on a résolu une fois pour toutes au cours de ces cinq dernières années tous les problèmes et perturbations qui affectaient le fonctionnement d’un certain nombre de réseaux d’eau d’un bout à l’autre du pays. Des kilomètres de conduites ont été posés, mais il faudrait en installer beaucoup plus. Mais il est indéniable que les citoyennes et citoyens vénézuéliens disposent aujourd’hui d’un service d’eau potable et d’assainissement qui leur appartient davantage, et est soumis à leur contrôle. Et un nombre croissant de communautés envisagent la gestion de l’eau non plus uniquement comme le fait d’avoir ou non de l’eau au robinet, mais du point de vue de la bonne gestion de leurs ressources en eau.
Cet article a été publié pour la première fois en 2005, dans l’édition originale de ‘Reclaiming Public Water’.
Couverture nationale des services d’eau potable et d’assainissement au Venezuela 1998-2003
- | 1998 | 1999 | 2000 | 2001 | 2002 | 2003 |
Eau potable (% de population) | 81,57 | 83,66 | 85,15 | 86,37 | 87,65 | 89,27 |
Collecte des eaux usées (% de population) | 63,77 | 64,38 | 66,96 | 68,15 | 71,27 | 71,69 |
Tables techniques de l’eau en place (en octobre 2004)
ENTREPRISE DE L’EAU | TABLES TECHNIQUES DE L’EAU |
HIDROANDES-BARINAS | 9 |
HIDROANDES-TRUJILLO | 10 |
HIDROCAPITAL | 1.088 |
HIDROCARIBE | 96 |
HIDROCENTRO | 42 |
HIDROFALCON | 144 |
HIDROLAGO | 476 |
HIDROLLANOS | 10 |
HIDROPAEZ | 24 |
HIDROSUROESTE | 41 |
HIDROLARA | 24 |
AGUAS DE MONAGAS | 29 |
AGUAS DE PORTUGUESA | 2 |
Total | 1.995 |
Statistiques d’Hidroven et du ministère de l’Environnement et des Ressources Naturelles