La question de l’eau constitue un problème majeur pour les populations d’Afrique subsaharienne. En effet, la situation dans la région reste caractérisée par l’accès difficile à cette ressource, la mauvaise gestion des points d’approvisionnement et les coûts élevés des branchements. Par exemple au Bénin, un ménage sur trois n’a pas accès à l’eau potable et le problème se pose avec un peu plus d’acuité en milieu rural.
Les ménages ayant accès à l’eau potable sont ces ménages qui ont l’eau potable à domicile ou bien à moins de 200 m d’une source d’eau potable. Est considérée comme eau potable : l’eau courante de la société de distribution d’eau potable, l’eau de la fontaine, l’eau de la pompe du village, l’eau de la citerne et l’eau des puits protégés etc.
Les différentes concertations menées avec les populations ont permis de confirmer que la question de l’eau constitue un problème majeur pour elles. Les préoccupations telles que soulevées par les populations portent sur l’accès difficile à l’eau et la mauvaise gestion des points d’eau, sur les difficultés de mobilisation de la participation financière des populations à l’aménagement et à la gestion des points d’eau, sur les caractéristiques parfois inadaptées des puits. Et même si cette eau n’est utilisée ni pour la boisson ni pour la cuisson, elle est inadaptée.
Une meilleure gestion de l’eau est cruciale pour l’urbanisation et le développement durable des villes d’Afrique. Selon le document d’information générale de l’ONU-HABITAT sur la gestion de l’eau, Lisa Ochola, adolescente typique de Nairobi, qui est allée représenter la jeunesse au Second Forum mondial de l’eau à La Haye, aux Pays-Bas, en 2000, a dit au monde que sa famille n’avait pas accès à l’eau courante et parfois cela durait pendant des mois. Pendant ces périodes, elle confie qu’elle arrive à assurer son hygiène personnelle avec un verre d’eau. Pour mieux faire comprendre le problème de l’eau à Nairobi, elle a ajouté que l’eau en bouteille achetée au supermarché coûte plus cher que l’essence.
C’est la même réalité que vit John Njoroge, aux revenus moyens, installé dans le quartier de Lavington à Nairobi et qui doit dépenser 10 000 shillings kenyans par mois (environ 128 dollars) pour faire face aux besoins en eau d’une famille de cinq personnes. Dans une autre partie de la ville, Kibera, l’un des plus grands bidonvilles d’Afrique, doit faire face au phénomène des toilettes volantes : les habitants se débarrassent de leurs excréments dans des sacs plastiques qu’ils lancent en l’air, n’importe où.
La crise de l’eau et de l’assainissement à Nairobi s’est aggravée en 2000, lorsqu’une sécheresse importante a forcé les autorités à rationner l’eau et l’électricité. Comme dans la plupart des villes africaines, le problème n’est pas tant lié à la rareté de l’eau potable mais au fait qu’environ 50% de l’eau est gaspillée ou détournée.
La crise de l’eau dans les villes fait de plus en plus l’objet d’une attention particulière dans tous les dialogues internationaux sur l’eau. L’alarme a été donnée à Dublin et à Rio de Janeiro en 1992, puis la situation a pris de l’ampleur dans d’autres réunions, à Beijing et à Istanbul en 1996, au Cap en 1997 et lors du second Forum mondial de l’eau tenu à La Haye en 2000. Dans la plupart de ces réunions, la crise de l’eau dans les villes africaines a constitué une des préoccupations principales.
Globalement, l’Afrique s’urbanise à un taux annuel d’environ 5%, soit le taux le plus rapide au monde. La population urbaine en Afrique pourrait passer de 138 millions en 1990 à 500 millions en 2020, et les villes africaines de plus d’un million d’habitants devront alors en accueillir près de 200 millions. Pour ce qui est de l’eau, une enquête effectuée en 1990, dans 29 pays d’Afrique subsaharienne, avait montré que huit de ces pays souffraient d’une insuffisance ou d’un manque d’eau. Selon les estimations, en 2025, ce nombre devrait passer à 20 sur 29.
Lagos, par exemple, le pôle commercial du pays le plus peuplé d’Afrique, compte actuellement près de 14 millions d’habitants, soit à peu près la moitié de la population du Kenya et plus que celle de la plupart des pays d’Afrique. C’est la ville la plus peuplée d’Afrique. Sixième ville du monde, elle pourrait devenir la troisième dans une vingtaine d’années. Cela impliquerait d’élargir l’accès à l’eau et la fourniture d’autres infrastructures et services essentiels à plusieurs millions d’habitants supplémentaires. De plus, comme dans de nombreux autres pays africains, Lagos est sur le point de connaître une véritable crise de l’eau.
Si l’on veut que les générations futures comme Lisa Ochola de Nairobi ne subissent pas demain les conséquences de nos erreurs, nous devons écouter l’avis du Professeur Kader Asmal, lauréat du Prix de l’eau de Stockholm :« Nous ne pouvons pas entrer dans le 21e siècle avec l’approche commerciale habituelle que nous avons de la gestion de l’eau dans les grandes villes. Nous devons faire une évaluation réaliste de nos capacités de gestion de l’eau dans des circonstances particulières. Il faut oser. Nous devons montrer un engagement sans faille envers l’équité. Il nous faut du courage politique. Il est important que la recherche et l’éducation jouent leur rôle en trouvant la voie qui permettra le mieux d’obtenir une équité et une efficacité à long terme. Enfin nous avons besoin d’une collaboration et d’une compréhension nationales et internationales car un mode de gestion de l’eau durable représente la sécurité à long terme pour chacun d’entre nous. »
Les modes d’approvisionnement
La situation de l’accès à l’eau potable en Afrique n’est pas comparable à celle de l’Europe. En effet :
– Une faible proportion de la population a accès à l’eau potable ;
– La desserte en eau n’est pas cantonnée seulement au réseau, loin s’en faut ; il existe encore d’autres sources d’approvisionnement telles que les points d’eau collectifs types sources, puits, forages…
L’eau du milieu naturel (océans, lacs, rivières, marigots, nappes phréatiques, pluies) est un bien collectif. Elle n’appartient à personne et appartient à tous. Ressource naturelle, l’eau fait l’objet de multiples emplois dont l’agriculture (70%), l’industrie (20%), la consommation domestique (10%).
La gestion de l’eau est complexe. S’agissant de la ressource, elle est transversale car elle concerne aussi bien la santé que l’aménagement urbain, l’agriculture, l’industrie ou les loisirs. Elle est aussi multi-acteurs et territoriale…
Cette complexité se trouve aussi dans la gestion des services de l’eau. Celle-ci requiert une grande technicité, une constante adaptation aux évolutions, ainsi qu’une mobilisation de capitaux importants en raison du coût élevé des infrastructures et des équipements d’une part, de leurs besoins permanents d’entretien d’autre part.
Bien que la compétence de la gestion de l’eau ait été transférée aux collectivités locales, les moyens n’ont pas été transférés. Ce sont toujours les sociétés des eaux qui assurent, pour la plupart des cas, la gestion de l’eau dans les villes africaines, sans concertation suffisante avec les autorités locales.
Les données sur l’accès à l’eau potable à Cotonou montrent que 98,9% des populations ont accès à l’eau potable. Néanmoins seules 43,6% d’entre elles ont l’eau courante à la maison, alors que 54,5% vont acheter l’eau courante dans les maisons voisines. Est considérée comme eau courante, l’eau courante de la Société Nationale des Eaux du Bénin (SONEB) à domicile, et ailleurs, l’eau de la fontaine, de la pompe du quartier, de la citerne et des puits protégés.
Les bonnes fontaines et les points d’eau aménagés n’existent pratiquement plus dans la ville de Cotonou. Mais les ménages qui n’ont pas un branchement à domicile s’approvisionnent par achat de seaux d’eau dans une maison voisine.
Les populations de Cotonou sont souvent confrontées à des coupures d’eau qui durent parfois toute la journée. Les raisons évoquées par les responsables de la société de distribution d’eau sont souvent l’entretien du réseau, la coupure d’électricité… Or les investigations que nous avons effectuées ont révélé qu’il y a 20 ans un cabinet allemand du nom de GIGGS avait interdit l’occupation de l’espace qui abrite les stations de pompage. Au cas où cet espace serait occupé, la nappe phréatique en serait affectée. Les recommandations du cabinet n’ont pas été respectées, l’espace a été grandement occupé et la nappe phréatique a été effectivement affectée, causant beaucoup de nuisances à la société de distribution d’eau. Celle-ci a ainsi dû augmenter le prix d’eau potable, les responsables de cette société avançant comme arguments des ajustements dus à la crise financière internationale, des coûts d’entretien élevés…
Conformément à l’article 93 de la loi 97-029 du 15 janvier 1999 portant organisation des communes en République du Bénin, la commune a la charge de la fourniture et la distribution de l’eau potable. Mais cette disposition n’a jamais été respectée. Or cela aurait pu favoriser la concurrence et permettre aux populations d’avoir des possibilités de choisir.
Les défis à relever
Pour une bonne politique de gestion de l’eau dans les villes africaines, certains défis sont à relever. Notamment :
– L’application des lois et règlements qui confient la gestion de l’eau aux collectivités locales ;
– La connaissance des sources en eau ;
– L’élaboration du schéma directeur de gestion des ressources en eau de surface ;
– La dotation en moyens financiers et humains pour les activités de suivi, du fonctionnement des équipements ;
– L’information et l’éducation des populations pour une utilisation rationnelle des points d’eau.
Propositions et recommandations
Pour améliorer l’accès des populations à l’eau potable, les villes africaines ont besoin des appuis dans les domaines ci-après :
– la maîtrise, la valorisation et la fourniture d’eau sur la base du principe de la demande ;
– la gestion et l’exploitation rationnelle des ressources en eau ;
– la formation/recyclage des communautés et la mise en place d’un mécanisme de renouvellement des équipements ;
– le renforcement des capacités de production des systèmes d’alimentation en eau potable ;
– la mise en place d’un conseil supérieur de l’eau ;
– la mise en place d’un fonds de l’eau pour une gestion efficace de la ressource ;
– la mise en place d’un mécanisme de suivi-évaluation…
Si ces propositions sont respectées, les villes africaines pourraient espérer un pourcentage appréciable de population ayant accès à l’eau potable d’ici 2020.
* Michel Makpenon est ingénieur statisticien économiste, Cotonou, Bénin.
Cet article fait partie d’un numéro spécial sur l’eau et la privatisation de l’eau en Afrique, réalisé dans le cadre d’une collaboration entre le Transnational Institute, Ritimo, et Pambazuka News.