La région du delta du Nil, qui abrite une partie important de la population et de l’agriculture égyptienne, est menacée par l’élévation du niveau des mers.
Le delta du Nil est l’une des régions les plus densément peuplées et des plus intensément cultivées du monde. Bien qu’il ne représente que 2,5 % de la superficie du pays, il abrite plus d’un tiers de sa population (Alexandrie, avec 4,5 millions d’habitants, est la seconde ville égyptienne). En outre, ses terres fertiles assurent presque la moitié de la production agricole égyptienne (notamment du blé, des fèves, du riz et des bananes). La région du delta a déjà été fragilisée par les ponctions massives de l’eau du Nil, principalement dans sa partie égyptienne, ainsi que par la construction du barrage d’Assouan (voir le texte Le haut barrage d’Assouan et le lac Nasser sèment-ils la discorde ?), qui empêche les sédiments nutritifs d’atteindre le delta et de le régénérer, contrecarrant les effets de l’érosion. Située à moins de deux mètres au-dessus du niveau de la mer, la région du delta est particulièrement vulnérable aux effets du changement climatique et, avant tout, à l’élévation du niveau de la mer.
La situation est d’autant plus inquiétante qu’abstraction faite des effets potentiels du changement climatique, l’Égypte connaît déjà une profonde crise de l’eau, aussi bien du point de vue de la quantité que de la qualité. L’eau du Nil constitue sa source principale – on pourrait dire quasi exclusive – d’eau douce, et la part qui lui est allouée depuis 1959, à savoir 55,5 milliards de mètres cubes, n’a pas bougé en cinquante ans (elle est même contestée comme excessive par les pays situés en amont, voir le texte Le partage des eaux du Nil : conflits et coopérations), alors que la population a triplé sur la même période (et, selon certaines prévisions, est encore appelée à doubler d’ici 2050). En conséquence, l’Égypte est désormais passée sous le seuil de 1000 mètres cubes par personne et par an qui définit la « pénurie en eau ». Le pays ne bénéficie plus que de 750 mètres cubes. 85 % de cette eau est utilisée dans l’agriculture, de manière particulièrement inefficace. En outre, l’eau du Nil est fortement polluée par les rejets industriels, urbains et agricoles, ainsi que ceux des bateaux de pêche et de croisière (voir le texte Le Nil : des pollutions multiformes).
Les effets potentiels du changement climatique sur le delta du Nil sont de deux ordres, dont l’un (l’évolution du débit du Nil) demeure très incertain, et l’autre (l’élévation du niveau de la mer) semble en revanche sans ambiguïtés.
Le débit du Nil
Les prévisions de précipitations comptent parmi les projections climatiques les plus délicates à réaliser, et sont donc marquées par une grande incertitude. Les prévisions peuvent varier très fortement selon les scénarios adoptés. Plusieurs expertises prévoient une forte baisse (de 40 à 70 %) du niveau du Nil, due à la chute des précipitations et à la sécheresse en Afrique de l’Est. D’autres scénarios parviennent toutefois à des conclusions exactement inverses, au moins à court terme, de sorte que, si l’on prend en compte toutes les études réalisées au cours de la dernière décennie sur le futur débit du Nil, les prévisions oscillent entre une baisse de 78 % et une augmentation de 30 %… Outre les précipitations, les autres facteurs qui compliquent les prévisions sont la répartition des eaux entre les différents pays riverains (voir le texte Le partage des eaux du Nil : conflits et coopérations), le niveau des extractions et le taux d’évaporation, qui risque d’être aggravé par une montée des températures.
La hausse du niveau des mers
Dès le tout début des années 90, grâce aux dernières avancées technologiques, les experts du Programme des Nations-Unies pour l’environnement (PNUE) ont rendu public des cartes projetant l’évolution (et la disparition progressive) de la région du delta à mesure de l’élévation du niveau de la mer. Ces cartes ont fait le tour du monde et ont contribué à populariser le thème du changement climatique, notamment dans le cadre du processus du Sommet de la Terre de Rio en 1992. Même si les études se sont multipliées depuis, les cartes du début des années 90 restent d’actualité. Les estimations les plus communes prévoient une hausse du niveau de la mer Méditerranée comprise entre 30 centimètres et 1 mètre d’ici la fin du XXIe siècle. (Les pires scénarios envisagent toutefois une fonte brutale des glaces du Groenland et de l’Ouest de l’Antarctique, qui entraînerait une élévation de la Méditerranée de l’ordre de 5 mètres…)
Selon une étude de la Banque mondiale, une hausse d’un mètre entraînerait l’inondation d’un quart du delta et le déplacement de 10 % de la population, dans une zone déjà surpeuplée. Toutes les activités économiques du delta seraient durement touchées. La production agricole serait réduite du fait de l’inondation des terres et de la salinisation de l’eau. Les lagons côtiers, qui représentent un tiers des captures de poissons du pays, seraient eux aussi détruits par les intrusions d’eau salée. Les infrastructures touristiques et de loisir, elles aussi, devraient être en partie abandonnées. Enfin, l’intrusion de l’eau de mer contaminerait les maigres ressources en eau douce souterraine qui existent à l’heure actuelle, accroissant encore la pénurie d’eau potable.
Des réponses politiques limitées
En Égypte comme ailleurs en Afrique, la question du réchauffement climatique n’occupe pas réellement le devant de la scène politique et sociale, au contraire de la question de l’approvisionnement en eau, et les autorités ont mis longtemps à prendre leurs responsabilités dans ce domaine. Une « étude stratégique nationale » sur l’adaptation au changement climatique est désormais en préparation au sein du Ministère de l’environnement. Par ailleurs, des investissements significatifs ont d’ores et déjà été dégagés, notamment à Alexandrie pour construire des murs de béton destinés à protéger les plages (300 millions de dollars US), ou encore en déplaçant des milliers de tonnes de sable pour reconstituer les zones côtières menacées par l’érosion.
SOURCES
– Dalia Abdel-Salam, « La guerre de l’eau à l’horizon 2025 ? », Al-Ahram Hebdo, Semaine du 27 juin au 3 juillet 2007, numéro 668.
– Anna Johnson, « Le réchauffement, une menace pour le delta du Nil », Associated Press, 29 août 2007.
– Otto Simonett et Philippe Rekacewicz, « Le delta du Nil menacé par les eaux : petite histoire d’une étude cartographique », blogs du Monde Diplomatique, 22 janvier 2008.
– “How climate change is shrinking the river Nile” (vidéo), The Guardian. http://www.guardian.co.uk/environme.... Sur la situation en amont.