Faut-il renoncer à cultiver le maïs en France ?

, par  Olivier Petitjean

Dans un contexte marqué par des sécheresses répétées dans une grande partie du pays, la culture irriguée du maïs en France s’est trouvée de plus en plus fortement contestée, autant pour ses conséquences sur les ressources en eau que pour le modèle agricole productiviste qu’elle incarne par excellence.

Les sécheresses successives de 2003-2005, mais aussi, au même moment, les campagnes publiques contre l’agriculture industrielle, la « malbouffe » et les OGM, ont permis de mettre en lumière le caractère problématique de la culture irriguée du maïs en France. Après les coups de boutoir des associations de consommateurs, des défenseurs de l’environnement, mais aussi d’une partie de la profession agricole (la Confédération paysanne et son porte-parole José Bové), c’est la presse elle-même qui s’est emparée du sujet, et finalement l’opinion publique qui, si l’on en croit toute une série de sondages, a pris conscience des problèmes associés à la culture intensive du maïs.

Bien entendu, la réaction ne s’est pas faite attendre. Les cultivateurs de maïs et une grande partie de la profession agricole ont rétorqué que le maintien de cette culture était le seul moyen d’éviter que des régions entières ne deviennent des déserts. Certains ont été jusqu’à jouer sur la corde sentimentale en faisant valoir que la disparition du maïs irrigué entraînerait celle du foie gras (une grande partie des canards et oies sont aujourd’hui gavés au maïs) ou encore laisserait le champ libre aux OGM nord-américains…

photo : georginchen, licence CC

Le principal des problèmes mis en avant par les critiques du maïs irrigué français est celui de sa consommation d’eau. Les besoins massifs du maïs irrigué sont tenus par beaucoup pour les véritables responsables des pénuries et des restrictions qu’ont subi dernièrement nombre de régions et départements français, souvent ceux-là mêmes où sa culture est la plus répandue (dans le Sud-ouest et le Centre-ouest du pays). Se trouvent dénoncées du même coup les politiques de tarification inadaptées et insuffisantes pratiquées par les Agences de l’eau en ce qui concerne les usages agricoles. Le maïs (ou, plus précisément, les variétés hybrides) se trouve également accusé d’augmenter la pollution des sols et des eaux (à travers le recours massif aux nitrates), d’être préjudiciable du point de vue de la biodiversité, de la nutrition et des régimes alimentaires, ou encore enfin de favoriser des modèles économiques contestables. En effet, les investissements nécessaires sont lourds, ces cultures rendent les paysans plus étroitement dépendants de l’industrie agroalimentaire, les semences hybrides sont rachetées tous les ans à des compagnies privées, etc. Toutes ces critiques s’additionnant, la disparition de ce type de culture en France semble désormais à la fois comme inévitable à terme (au vu des ressources en eau disponibles) et souhaitable (au vu des nuisances écologiques et sociales qui lui sont associées). Selon la FNSEA, le principal syndicat agricole français, la surface cultivée en maïs aurait d’ores et déjà baissé de 30 % entre 2000 et 2009, principalement pour des raisons liées à l’eau et à sa disponibilité.

La place du maïs irrigué en France

L’eau d’irrigation ne représente que 14 % des prélèvements d’eau en France, alors que ce pourcentage avoisine plutôt les 80 % dans la plupart des pays du Sud. La situation est toutefois fortement différenciée selon les régions et a connu des développements récents. On peut distinguer deux grandes zones d’irrigation en France. La première est le Sud-est, où l’irrigation existe depuis des dizaines, voire des centaines d’années, et concerne principalement les cultures maraîchères et surtout fruitières : kiwis, clémentines, pêches, pommes, etc. La seconde zone est le Sud-ouest (régions Aquitaine, Midi-Pyrénées et Poitou-Charentes), où la culture irriguée du maïs (par aspersion) s’est étendue de manière spectaculaire dans les années 80 et 90 : les surfaces irriguées y ont triplé en dix ans. Cette extension s’est faite dans des régions sans tradition d’irrigation (comme celle liée à la récurrence des sécheresses dans le Sud-est), c’est-à-dire selon une logique purement productiviste d’augmentation du rendement. La consommation d’eau par hectare est plus importante dans le Sud-est que dans le Sud-ouest (comme ne manquent pas de le souligner les partisans du maïs), mais doit aussi être jugée à l’aune de l’intérêt alimentaire et nutritionnel de ces cultures respectives. Par ailleurs, les consommations d’eau doivent être mises en regard de la ressource disponible au moment où elle est prélevée. Dans le cas du Sud-ouest, l’eau est prélevée à 80 % en été, durant la période d’étiage, et durant cette période les prélèvements d’eau sont supérieurs aux débits cumulés de la Garonne, de l’Adour et de la Charente. Au fil du temps sont donc apparus des déficits d’eau dans les régions concernées, qui n’en connaissaient pas auparavant. Réciproquement, la culture du maïs apparaît particulièrement dépendante des ressources en eau : les étés chauds et secs de 2003 et 2005 ont été catastrophiques pour les maïsiculteurs du Sud-ouest. Avec le réchauffement climatique et si les restrictions d’eau se perpétuent, ce modèle agricole peut effectivement apparaître comme promis à la disparition sur le territoire français.

Quelles sont les solutions et les alternatives ? Elles sont de deux ordres. Il y a d’abord celles qui touchent aux pratiques agricoles proprement dites. Parmi ces solutions culturales, il faut citer avant tout la possibilité pour les agriculteurs de choisir de cultiver d’autres variétés et d’autres espèces. Pour ce qui est du maïs, le sorgho est une alternative souvent mise en avant, de même que le tournesol. Toutes deux consomment nettement moins d’eau que le maïs. En supposant un cadre économique constant, ces deux cultures sont à l’heure actuelle moins rémunératrices que le maïs en situation « normale », mais nettement moins vulnérables aux aléas climatiques et à une baisse des apports en eau. Si les sécheresses se multiplient et surtout si le cadre économique change, elles pourraient devenir plus avantageuses (notamment pour les usages fourragers), du moins si les débouchés et les filières se renforcent parallèlement. En ce qui concerne le maïs ensilage (séché et destiné à l’alimentation animale), une autre alternative qui permettrait d’économiser l’eau est tout simplement le retour de la luzerne, dont l’utilisation est diminution constante depuis les années 60 mais qui a des avantages agronomiques et environnementaux indéniables. Une autre solution culturale est une modification du calendrier de production et un recours accru aux variétés d’hiver, ce qui permettrait d’« esquiver » les situations estivales où les besoins sont au maximum et les ressources au minimum.

Ensuite et surtout, il y a les solutions qui touchent à l’environnement économique, politique et institutionnel de l’agriculture. Le développement du maïs irrigué est en effet inséparable d’une part de certains choix de politique publique effectués dans la période de l’après-guerre et les années 80 (en bref, le choix du productivisme et de subventions agricoles basées sur des critères quantitatifs), et d’autre part de l’adoption du modèle des cultures « sous contrat ». Les cultures « sous contrat » reposent sur une intégration très forte entre producteurs et industrie agroalimentaire, qui implique pour les premiers (en contrepartie d’une rémunération assurée et avantageuse) de fortes exigences en termes de régularité, de qualité et de rendement – autant de facteurs qui poussent l’agriculteur à recourir à l’irrigation, qui fonctionne comme une assurance de rendement régulier. Deux facteurs importants pourraient conduire dans les années qui viennent à changer la donne en ce qui concerne l’eau d’irrigation en général et le maïs en particulier. Le premier est l’évolution de la Politique agricole commune, si celle-ci est effectivement réformée en un sens accordant moins de place aux quantités produites et davantage aux considérations environnementales. Le second est l’évolution du prix de l’eau : si, soit du fait des sécheresses, soit du fait d’un choix politique, l’eau devient plus chère pour les agriculteurs, ils seront forcément incités à revoir leur modèle de production.

SOURCE PRINCIPALE
 Rapport INRA agriculture et sécheresse. http://www.inra.fr/l_institut/exper...

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