Reconstruire la confiance après Flint : qu’en est-il de l’eau dans votre ville ?

, par  Daniel Moss
Malgré le vieillissement des infrastructures et les pressions budgétaires, les services d’eau des villes américaines ont généralement rempli leur promesse de fournir un eau saine.

Avec l’horreur actuelle de la crise de l’eau à Flint, se remplir un verre d’eau du robinet paraît tout à coup une activité risquée.

À travers l’histoire, la qualité de l’eau a toujours été un défi – le choléra, la dysenterie et d’autres maladies ont décimé les grandes villes. Aujourd’hui encore, plus d’un milliard de personnes à travers le monde ne bénéficient toujours pas d’un accès à une eau saine.

Et pourtant, au niveau international, l’eau est désormais reconnue comme un droit humain, et les accords internationaux sur le changement climatique tout comme les objectifs de développement durable des Nations unies insistent sur le caractère équitable et soutenable de sa gestion. Les impératifs de lutte contre le changement climatique et d’économie de l’énergie poussent au changement. Les villes doivent apprendre à protéger leurs sources d’eau, récolter l’eau de pluie, recycler l’eau grise, associer le public et mettre en place des comités de bassin versant, libérant les créativités en matière de gestion urbaine de l’eau.

Au final, pourtant, les usagers de l’eau veulent des résultats : une eau propre jaillissant de leurs robinets. Ils se posent la question : ma ville est-elle exemplaire ou est-elle un risque pour ma santé ?

Flint peut être envisagée (la ville) de deux manières. Soit c’est une exception, l’histoire d’un gouverneur au cœur de pierre choisissant de réduire les dépenses aux dépens des enfants, majoritairement noirs de Flint. Soit l’affaire pourrait marquer le début d’un effondrement systémique des plus de 50 milliers de services d’eau aux États-Unis.

Jusqu’ici, malgré des infrastructures vieillissantes et les pressions budgétaires, les services de l’eau ont rempli leur promesse de fournir une eau saine. De nombreuses villes ont pris des mesures pour éviter ce qui est arrivé à Flint.

Flint a été précédé de nombreux drames, résultats la plupart du temps de mauvaises décisions de gestion qui ont érodé la confiance du public et provoqué une réaction des services de l’eau concernés. En 2014, une prolifération d’algues, causée par l’utilisation intensive des nitrates, a ravagé les sources d’approvisionnement en eau de Toledo, dans l’Ohio. Un déversement massif de produits chimiques à Charleston, en Virgine occidentale, en a rendu l’eau imbuvable. Ce type de calamité représente une publicité gratuite pour le business à 13 milliards de dollars de l’eau en bouteille aux États-Unis.

Mais avant d’abandonner la cause de l’eau publique, regardons la réalité des faits. Aussi tragiques que soient les informations qui nous parviennent de Flint, le responsable de la communication de l’American Water Works Association, Greg Kail, rappelait que la quasi totalité des services de l’eau des États-Unis respectent les normes de teneur en plomb et en cuivre du Safe Water Drinking Act (loi sur la qualité de l’eau potable). Ces services sont censés rendre publics tous leurs manquements à ces normes dans leurs rapports annuels sur la confiance des consommateurs. « Dans la très grande majorité des cas, explique Kail, les professionnels de l’eau accomplissent leur devoir avec sérieux et protègent la santé publique. Quand des événements comme ceux de Flint surviennent, cela ne fait que renforcer leur engagement. »

Immédiatement après Flint, l’Autorité de l’eau du Massachusetts (MWRA) et le Département de la protection de l’environnement (DEP) de la ville de New York ont adressé des lettres rassurantes aux législateurs et à leurs clients, expliquant leur politique de qualité de l’eau. Le DEP distribue de lui-même un millier de kits de test par an à ses clients pour collecter des données de terrain sur le plomb et autres polluants. La MWRA et le DEP sollicitent tous deux les retours de leurs clients, ce que Stephen Estes-Smargiassi, directeur de la planification et de la soutenabilité de la MWRA, décrit comme une manière de « construire la confiance au niveau des usagers. Nous voulons que nos clients aient une bonne opinion de leur eau après avoir été en contact avec nous ». La MWRA, comme d’autres services de l’eau, surveille la qualité de l’eau et publie les données sur son site web, et a mis en place une hotline sur la qualité de l’eau, avec un professionnel de la santé publique pour répondre aux demandes. À Flint, le changement de source d’approvisionnement en eau n’a pas été rendu public, et les plaintes des clients étaient systématiquement ignorées.

Les mécanismes internes de régulation et d’alerte ne doivent pas empêcher les citoyens vigilants de se faire entendre dans les administrations municipales, même si dans la majorité des cas, l’eau publique urbaine respecte les standards de l’Agence fédérale de l’environnement. Certes, le bilan de l’état des infrastructures aux États-Unis publié par l’American Society of Civil Engineers attribue aux infrastructures d’eau potable la note médiocre de D, en tirant la sonnette d’alarme sur les 3,2 billions de dollars nécessaires d’ici 2020 pour mettre à niveau les infrastructures d’eau des États-Unis. Mais il reconnaît néanmoins que les « incidents sanitaires attribuables à l’eau du robinet sont rares ». Sans que cela constitue un motif d’autocongratulation, les défenseurs de la qualité de l’eau peuvent aussi renvoyer leurs élus locaux aux villes intelligentes qui gèrent bien leur eau, en investissant dans la gouvernance, dans les « infrastructures grises » (les tuyaux et le traitement) et dans les « infrastructures vertes » (la réhabilitation des écosystèmes pour sauvegarder quantitativement et qualitativement les ressources en eau).

Le réseau d’eau de la ville de New York est un exemple emblématique de cette tendance, fréquemment mis en avant dans les conférences internationales sur la gestion de l’eau. Sa planification innovante a commencé dès le XIXe siècle, avec la construction de canalisations gravitaires pour transporter jusqu’à la ville l’eau pure des bassins des Catskills et du Delaware. Dans les années 1980, confrontée aux risques de contamination liés à l’agriculture industrielle et à l’extension des banlieues urbaines, la ville, plutôt que de construire une usine de potabilisation à 6 milliards de dollars, est devenue pionnière de la collaboration rurale-urbaine, sous la forme de ce qui serait appelé plus tard « rémunération des services écologiques ». En échange de la préservation de la qualité de l’eau, la ville a mis en place des transferts financiers au bénéfice des zones rurales, afin d’améliorer la gestion des effluents d’élevage dans les fermes ainsi que l’assainissement dans les petits villages.

Même si New York se plaît à revendiquer le titre de « champagne de l’eau potable », en 2014 c’est Boston qui a remporté le concours annuel de la meilleure eau du robinet organisé par l’American Water Works Association. De la même manière que New York, Boston préserve la qualité de son eau à la source. Tandis que l’approche de New York passe principalement par des contrats sur l’utilisation des terres avec des propriétaires privés, celle de Boston se focalise sur la protection des terres du domaine public, en collaboration avec les agences de l’État. La protection de la forêt autour des réservoirs de Quabbin et de Wachusetts signifie que Boston n’a besoin que d’un traitement minimal pour atteindre les standards de l’Agence fédérale de l’environnement.

Que l’eau de la ville ait bon goût ne constitue pas seulement un petit plaisir superflu ; cela veut aussi dire que lorsque quelle sent mauvais ou apparaît d’une couleur étrange, les clients appellent immédiatement le service pour se plaindre.

En amont aussi bien qu’en aval, les ressources en eau d’un bassin versant sont l’objet d’intérêts économiques concurrents dont la majorité comporte des risques pour la qualité de l’eau. Les administrations ont utilisé à la fois la carotte et le bâton pour s’assurer d’une utilisation responsable de la terre et de l’eau et protéger la qualité des ressources. Après avoir suscité une levée de boucliers d’agriculteurs en colère en essayant de faire appliquer rigoureusement les règles qu’il avait édictées, le service de l’eau de New York a changé de tactique et proposé une aide directe aux agriculteurs qui souhaitaient s’engager dans des pratiques compatibles avec la qualité des ressources en eau.

Le Midwest s’est trouvé confronté à une crise similaire. La production de céréales dans l’Iowa, dont la valeur économique est estimée à 30 milliards de dollars, est stimulée par une injection massive d’engrais chimiques dont seule une petite partie finit réellement par nourrir les plants de maïs ou de soja. Une grande partie du reste se retrouve dans la rivière Raccoon, l’une des principales sources d’eau de Des Moines, la capitale de l’État. Bill Stowe, directeur du service de l’eau de Des Moines, estime que l’État a échoué dans ses efforts pour que les agriculteurs réduisent volontairement les ruissellements de nitrates. « Il est extrêmement clair de mon point de vue, a-t-il déclaré à un journaliste du New York Times, que l’agriculture industrielle traditionnelle n’a aucun intérêt à prendre les mesures requises pour transformer en profondeur ses pratiques de manière à protéger notre eau potable. » Les traitements nécessaires pour rendre potable cette eau chargée de nitrates sont onéreux, de sorte qu’en 2015, le service de l’eau a cherché à faire payer la facture aux agriculteurs en poursuivant les deux comtés en amont devant les tribunaux. On aurait pu croire que l’initiative déclencherait une guerre civile entre urbains et ruraux ; elle a en fait provoqué un débat public de fond en Iowa sur qui doit payer le prix d’une eau propre.

L’air du temps peut sembler contraire à l’idée de créer volontairement de nouveaux impôts. Pourtant, c’est exactement ce que les électeurs californiens ont fait en 2014, lorsqu’ils approuvé une obligation de 7,5 milliards de dollars pour réparer et remplacer les infrastructures d’eau vieillissantes de l’État. Le spectacle de pelouses asséchées, ainsi que le vibrant plaidoyer du gouverneur Jerry Brown sur la conservation de l’eau et le climat, ont réveillé les Californiens de leur complaisance, leur faisant comprendre que l’eau ne pouvait plus être considérée comme acquise. L’obligation signifie que les factures d’eau vont probablement monter, mais les électeurs y ont tout de même vu une option préférable à la soif. Ses fonds seront notamment utilisés pour améliorer la fiabilité de l’approvisionnement en eau, atteindre les standards de qualité de l’eau potable, et dépolluer les nappes phréatiques. Quelques 260 millions de dollars alimenteront un fonds pour la prévention de la pollution destiné aux petites communautés. À San Francisco aussi, en 2002, les électeurs ont approuvé une obligation pour aider la Commission des services publics de la ville à mélanger l’eau des nappes phréatiques avec celle issue de la fonte des neiges de la Sierra Nevada, et à inciter les constructeurs de nouveaux édifices à récolter et traiter l’eau sur place. Ce que Paula Kehoe, directrice des ressources en eau à la Commission, qualifie de « nouveau paradigme pour l’eau ».

Ce paradigme ne sera sans doute pas atteint sans combat. Lorsque United Water (Suez) a obtenu le contrat de gestion du réseau d’eau d’Atlanta en 1999, l’entreprise a réduit les effectifs par deux et augmenté les tarifs. Des écoulements d’une eau brune ou orange des robinets de la ville ont entraîné la recommandation de faire bouillir l’eau avant de la boire. Shirley Franklin, alors maire de la ville, a annulé le contrat en 2003 et remis le service sous gestion municipale. Tout autour du monde, des citoyens poussent leurs élus à reconsidérer leurs contrats de privatisation et à reprendre le contrôle de leurs services d’eau. Confrontés à des hausses de prix sans amélioration du service, ils font valoir que le transfert des profits à des actionnaires privés est incompatible avec la gestion de l’eau pour le bien public. Le Transnational Institute a dénombré au moins 235 villes dans 37 pays qui ont repris leurs services d’eau dans le giron public au cours des 15 dernières années.

Flint a ému le pays comme aucune autre crise de l’eau. Lorsqu’un service de l’eau trahit la confiance du public, souligne Estes-Smargiassi, « cela nuit à la confiance partout ». Les blessures de Flint persisteront bien au-delà de ses enfants marqués. Il faudra sans doute du temps avant que les familles se sentent suffisamment rassurées pour boire à nouveau l’eau du robinet. Et pourtant, partout et chaque jour, des travailleurs de l’eau engagés et des élus progressistes démontrent qu’avec suffisamment d’investissement et de contrôle public, l’eau peut être gérée pour le bien commun.

Daniel Moss

Article original en anglais : http://www.yesmagazine.org/planet/rebuilding-trust-after-flint-what-about-the-water-in-your-city-20160211

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Photo : George Thomas CC via flickr

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